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l’homme et la terre. — grèce

Méditerranée se trouva ainsi conquise à l’influence partie de la petite péninsule hellénique. Que de cités d’origine barbare se vantèrent d’avoir eu pour origine des colonies grecques : jusqu’aux Irlandais de nos jours qui, par fierté nationale, se donnent sérieusement le nom de Milésiens ! À l’étranger, loin des villes conquises, des champs ravagés, les diverses sous-races entre lesquelles se divisait la nation grecque. Doriens, Ioniens, Achéens, Eoliens, apprenaient à se détester moins, à se sentir davantage les fils de la même mère Hellade, et des mélanges nombreux eurent lieu entre les descendants des frères ennemis. Ainsi, les Doriens qui continuèrent leur migration par delà les mers, en Crète, à Rhodes, dans les presqu’îles de l’Asie Mineure, jusque dans la Cyrénaïque, cessèrent bientôt de ressembler aux hommes de leur race qui en représentent le mieux l’âpre génie, les durs guerriers Spartiates : ils changèrent avec le milieu. On peut en juger par le plus célèbre des Doriens, Hérodote, le glorieux fils d’Halicarnasse. C’est dans le doux dialecte ionien qu’il écrivit ses Histoires, c’est vers Athènes, comme vers la patrie de sa pensée, qu’il revenait après ses longs voyages dans les diverses parties du monde connu, et lorsqu’il mourut, il s’occupait à fonder une colonie athénienne dans la Grèce de l’Italie, sur l’emplacement de l’ancienne Sybaris, démolie par les Crotoniates.

Mais si l’expansion de la race hellénique fut un des heureux résultats indirects de l’invasion dorienne, les conséquences directes dans les pays immédiatement frappés en furent terribles et firent brusquement reculer la culture chez les populations conquises à la pointe de la lance et que la haine de l’oppresseur réduisait à la servitude. Les Doriens, envahisseurs barbares, ont trouvé naturellement des historiens, adorateurs de la force, qui se sont rangés du côté des vainqueurs, précisément parce qu’ils ont vaincu et qu’il est profitable d’aduler les puissants, même ceux qui sont morts depuis des milliers d’années. Il est certain que le régime imposé par les Spartiates fut atroce et que le peuple des Hilotes, de libre et policé qu’il était avant la conquête, devint un lamentable ramassis d’esclaves : jamais il ne put se relever de son abjection et jamais ses maîtres ne purent atteindre à l’idée de la liberté civique ; bien que Grecs, ils restèrent vraiment « barbares ». Comme un corps étranger introduit dans un organisme sain, ils développèrent dans le monde grec des maladies redoutables. On peut dire que de toutes les causes de mort déposées