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l’homme et la terre. — grèce

remémorer leur propre généalogie et à déterminer leurs relations, de parenté ou de haine héréditaire, avec les peuples qui les entouraient ; ils n’étudiaient le monde qu’à leur point de vue tout égoïste de nation choisie, tandis que les Grecs, plus curieux, sollicités par la pittoresque variété des rivages qui se déroulaient devant eux, comprenaient les étendues environnantes à un point de vue plus objectif : ils cherchaient, non à se glorifier, mais à savoir. Ce contraste est naturel entre deux races dont l’une habitait un étroit domaine entouré par le désert, dont l’autre, mobilisée par son milieu, se déplaçait volontiers de-ci de-là, sur les flots changeants de la Méditerranée.

Les conflits d’intérêts, les ambitions rivales qui devaient se produire entre les peuples, des deux côtés de la mer Egée, finirent par amener une violente rupture d’équilibre : ce fut la guerre de Troie, dans laquelle on vit la plupart des Grecs occidentaux, guidés par les Achéens, porter la guerre sur les côtes de l’Asie Mineure et s’y heurter pendant de longues années contre les populations dardaniennes de la contrée, apparentées aux Thraces de l’Hœmus, aux Phrygiens de l’Anatolie intérieure. On ne sait qu’à une couple de siècles près l’époque où eurent lieu ces terribles conflits dont la mémoire se maintiendra toujours parmi les hommes, grâce aux chants d’Homère et des rhapsodes ; on ne peut être sûr non plus que la Troie autour de laquelle le cruel vainqueur traîna le cadavre d’Hector soit une des villes exhumées par Schliemann sur la colline d’Hissarlyk : aucune inscription ne rendant authentique la découverte du « trésor de Priam », on ne peut encore préciser la place d’Ilion dans le temps et sur le sol. Ce qui est certain, c’est que le choc eut lieu et qu’il mit en mouvement, comme un orage, les populations de l’Hellade et de l’Asie Mineure ; on ne saurait également douter que les étroits bassins du Simoïs et du Scamandre, qui viennent aboutir à l’entrée même de l’Hellespont, n’aient été les lieux de rencontre entre les combattants ; les ruines, les tertres funéraires, les débris de villes calcinées témoignent de l’importance des événements qui s’accomplirent autrefois à cet angle nord-occidental de l’Asie Mineure. Peut-être pourrait-on concilier les affirmations contradictoires des savants à propos des temps et des lieux, en admettant qu’il y eut plusieurs « guerres de Troie » ; l’épopée d’Homère symboliserait alors toute une longue époque pendant laquelle les corsaires grecs