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l’homme et la terre. — égypte

tèrent
ustensiles de scribe
surtout à faire capturer chaque année chez les peuples noirs de l’Ethiopie des milliers d’esclaves et à les enchaîner pour le travail des carrières. Sous sa férule, le pays s’appauvrit, la faim ravagea les campagnes, enfin, l’art disparut avec la liberté civile : après Sésostris, les sculptures ne furent plus que des œuvres barbares. On cessa complètement d’étudier les traits des modèles et, laissant de côté la nature, on se contenta de la représentation hiératique des individus. D’après F. Regnault[1], les artistes anciens auraient poussé le scrupule jusqu’à copier les défauts physiques des personnages, y compris le rachitisme et les déformations du crâne. Mais Sésostris avait trop de vanité pour ne point se faire modeler comme « le plus beau des hommes », et ceux qui contemplent ses traits superbes, taillés dans le grès rouge ou dans le granit, se laissent aller à répéter qu’il fut, en effet, « le plus beau[2]». Par une singulière ironie du sort, la momie de ce fanfaron devait être conservée jusqu’à nos jours, et les visiteurs qui déambulent dans le musée de Giseh peuvent étudier à leur aise, débarrassée de sa couche de goudron, la physionomie de Sésostris, à l’air peu intelligent, légèrement empreinte de bestialité, mais orgueilleuse, têtue, et de majesté souveraine[3].

Les temples, les colosses, les pylônes, les sphinx et les obélisques sont avec les pyramides les seuls monuments que nous ait laissés l’antique Égypte : aucune construction civile ne nous est restée ; on dirait que rien n’exista dans ce monde ancien en dehors des rois et des prêtres. Certes, les hommes pullulèrent dans la riche vallée, mais ils furent tenus pour rien, pour une foule faite pour servir. Les conditions du milieu géographique ont même voulu que les villes n’aient point laissé trace de leur existence comme organisme collectif. Situées dans une vallée linéaire, qui se

  1. Bull. de la Soc. d’Anthrop. de Paris, séance du 20 déc. 1894.
  2. Amelia Edwards Two Thousand Miles up the Nile.
  3. H. Brugsch, Aus dem Morgenlande, p. 172.