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l’homme et la terre. — égypte

l’architecture et dans le symbolisme des pyramides pendant les âges de leur construction, que l’on évalue à un millier d’années. Tout d’abord, lorsque les bâtisseurs chaldéens vinrent directement d’Eridu à Memphis — c’est-à-dire, en traduisant les mots des deux langages, de la « Bonne ville » à la « Bonne ville » ou plutôt de la « ville du Bon Dieu » à une autre « ville du Bon Dieu »[1], — les pyramides étaient bâties en briques faites avec le limon du Nil et par gradins successifs comme les observatoires et « tours de Babel », puis le nombre des terrasses, qui aurait dû toujours se maintenir à sept, conformément à la tradition, augmenta graduellement en diminuant de saillie, tandis que la pierre remplaçait la brique. A la fin, toutes traces d’inégalités extérieures dans le tétraèdre pyramidal disparurent, et la construction ne fut plus qu’un solide géométrique parfaitement régulier, aux surfaces polies. Le mastaba, c’est-à-dire le tombeau royal, qui primitivement se dressait à part, sans pyramide qui l’enfermât, fut placée, dès les premiers temps des dynasties historiques, au milieu de l’emplacement que devait surmonter la masse énorme des pierres entassées.

Les rois soupçonneux auraient voulu à tout prix que leurs corps, ornés d’étoffes précieuses et de bijoux, fussent soustraits aux regards profanes : ils cherchaient à satisfaire d’un côté à l’immensité de leur orgueil et de l’autre aux lois de la prudence. Les monuments funéraires devaient se montrer de fort loin par la puissance de leur masse, et des temples, des statues, des pylônes triomphants, des allées de sphynx ajoutaient à la gloire de leur tombe, mais il fallait que la dépouille divine fût si bien cachée dans l’intérieur des constructions que nul ne pût la découvrir pendant la succession des siècles. Le corps de Kheops, dans son étroit réduit de la Grande Pyramide, échappa en effet aux regards pendant des milliers d’années : on ne le trouva qu’après la conquête de l’Egypte par les Arabes, sous le règne du calife Mamun, vers l’an 200 de l’hégire.

Après la construction du tombeau qui contint la momie de Kheops et qui avait coûté tant de souffrances aux captifs des populations vaincues, de même qu’à la multitude lamentable des malheureux sujets, la décadence se produisit rapidement pour ce genre d’édifices.

  1. Fritz Hommel, Der babylonische Ursprung der segyptischen Kultur, p. 1.