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l’homme et la terre. — égypte

(khu), distincte de l’âme (ba), différente elle-même du double (ka), toutes émanations de l’individu après sa mort, au même titre que l’image et l’ombre perpétuant la mémoire du défunt en d’autres civilisations. Le « double » des Egyptiens était un second exemplaire du corps, le reproduisant trait pour trait, en une matière aérienne et colorée. C’était pour lui que se préparait la bonne demeure, ou la demeure éternelle, pour lui que les parois de la tombe se couvraient de serviteurs affairés — car la peinture d’un serviteur est bien ce qu’il faut à l’ombre d’un maître[1] —, pour lui, la momification et les soutiens artificiels qu’on lui procurait sous forme de statues, pour lui que des fellâhin par centaines de mille entassaient pierre sur pierre.

Le « double » était lié à la tombe, l’ « âme ». circulait librement, habitait parmi les dieux, visitait un autre « pays du Nil », un royaume d’Osiris, par delà le sommeil de la mort. Il est bien, parfois, question d’un enfer, mais l’idée de sanction reste confuse, les croyances des Egyptiens ne différaient guère sur ce point de celles des chrétiens de nos jours ; pourtant, ils ne croyaient pas qu’une faute temporelle, si grande fût-elle, pût mériter un supplice éternel[2].

La religion des Egyptiens ne fut pas cet immuable ensemble de croyances que les historiens grecs et, d’après eux, les égyptologues classiques s’étaient imaginé d’abord : elle évolua. Après la sollicitude pour le sort du « double », le fidèle concentra ses aspirations sur une seconde vie, il demande « l’haleine pour son nez », il trouve la béatitude dans la phrase de bienvenue prononcée par Osiris : « Je te donne les renouvellements indéfinis ». L’Egyptien d’alors ne croyait pas à la résurrection, mais à une série sans fin de renaissances[3].

De tous les documents légués par l’antique Égypte, celui qu’on peut considérer comme la « Bible », comme le livre sacré par excellence, comprenant le fond même de la religion, est le « Livre des Morts » que l’on plaçait dans les bandelettes des momies et qui suivait le « double » dans le royaume de l’Occident. On possède plusieurs formes de ce livre, et les variantes sont nombreuses, mais quelles que soient les différences des formules et des invocations,

  1. G. Perrot, De la Tombe égyptienne. Revue des Deux Mondes, 1881.
  2. E. Amélineau, Résumé de l’Histoire d’Egypte, p. 56 ; — E. Maurice Lévy, Note manuscrite.
  3. A. Gayet, Coins d’Égypte ignorés.