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l’homme et la terre. — égypte

aussitôt celui des Egyptiens : on ne saurait parler de l’œuvre des uns sans qu’on pense immédiatement au travail des autres. D’ailleurs, ils furent réellement associés dans une grande évolution commune, car ils ne cessaient d’agir et de réagir par leur influence réciproque, tantôt en un contact direct, tantôt par l’intermédiaire des populations limitrophes. Les analogies sont très nombreuses dans ce développement social des deux groupes ethniques, mais ce mouvement présente aussi de très frappants contrastes, provenant de la différence du milieu géographique.

La variété est beaucoup plus grande dans les va-et-vient historiques des peuples de la Mésopotamie, parce que la nature elle-même est plus variée dans le bassin des deux fleuves. L’espace intermédiaire qu’ils limitent de part et d’autre est, par endroits, d’une grande largeur, même de 100 à 150 kilomètres, et les canaux d’irrigation qui le parcouraient dans tous les sens le transformaient en une merveilleuse campagne de verdure ou de moissons jaunies. A l’est du Tigre, la plaine, çà et là cultivée, se prolonge jusque dans le cœur des monts par des vallées fertiles ; autant d’avenues naturelles qui facilitaient l’accès du plateau d’Iran. A l’ouest de l’Euphrate, le désert côtoyait, il est vrai, la rive du fleuve dans une partie de son cours, mais pour se changer peu à peu en steppe dans la direction du nord. De tous les côtés la Mésopotamie se trouvait donc en contact avec des tribus ou des peuples limitrophes, qui pouvaient modifier son évolution historique. Le Nil, au contraire, réduit à un seul courant, dans une étroite vallée que limitent des falaises et les pentes rocheuses des monts, n’est, en réalité, qu’un simple ruban, comparé à l’ensemble territorial de son bassin : de l’un à l’autre versant la zone des cultures varie de 5 à 25 kilomètres ; il existe même un défilé, entre Thèbes et Assuan, celui de la « Chaîne », large de 1 200 mètres, où la campagne se trouve complètement interrompue.

L’histoire de la vallée nilotique correspond à sa géographie. La population des laboureurs s’est pressée dans la longue cavité que remplissent les alluvions du fleuve, entre les deux escarpements opposés des montagnes, tandis que, de part et d’autre, les espaces sableux ou rocheux qui bordent la dépression du Nil sont ou bien sans habitants ou parcourus seulement par de pauvres tribus errantes, trop faibles pour qu’il leur ait été possible d’exercer la moindre intervention