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l’homme et la terre. — palestine

bien humble à côté des grands empires, ne fût certainement pas ressuscitée de ses décombres si elle n’avait eu, à côté du palais royal, le temple vénéré d’un Très-Haut, centre religieux de toute la nation des Juifs. Une nouvelle forme de croyances se cristallisa autour du noyau que la ferveur nationale qualifia de patrie. La foi précise avec ses dogmes et ses rites se fixait vers la même époque autour des anciennes légendes araméennes et babyloniennes dont la rédaction constitue le Pentateuque. Avant le règne du roi Josias, aucun prophète d’Israël, aucun roi, ni David dans ses Psaumes, ni Salomon dans son Ecclésiaste ne font la moindre allusion aux « cinq livres » prétendus antiques. Le nom même de Moïse n’est pas une seule fois prononcé. Le grand législateur était aussi inconnu que s’il n’avait pas vécu, et l’on peut se demander en effet s’il exista dans une légende judaïque avant d’avoir été emprunté à l’Egypte ou à la Babylonie[1]. Un monde sépare les deux âges.

Le dieu des Juifs, qui d’abord n’avait eu d’autre mission que de défendre hargneusement les confins de son étroite patrie, prend un rôle de plus en plus noble et vaste, il monte plus haut dans le ciel et sa domination s’étend sur la terre. Il entre aussi plus avant dans les cœurs, car le peuple juif n’est plus composé de tribus conquérantes ; il n’extermine plus Moabites, Edomites, Amaléçites, mais il est exterminé à son tour : il n’a plus à invoquer un « dieu jaloux et cruel » ; ce qu’il lui faut maintenant, c’est un consolateur, un dieu des compassions et de la Miséricorde, qui dans l’immense abjection du présent fasse briller un triomphant avenir. La douleur, ayant renouvelé la nation, renouvela en même temps son dieu.

Ce n’est pas tout. Dans la désorganisation générale des États sur lesquels passent et repassent les gens de guerre et de pillage, le pauvre peuple opprimé se redresse désespéré : il ne veut plus entendre la voix de ses chefs, prêtres, rois, qui se liguent avec ses ennemis pour le mêler à la boue ; il s’enhardit maintenant et parle directement à son dieu qu’il invoque non comme le protecteur de la patrie mais comme le représentant de la justice. Une révolution morale s’est accomplie. Des fous, des illuminés, des bergers, des gens sans aveu et sans mandat se mêlent de prophétiser, c’est-à-dire de parler au nom

  1. E. Reuss, Histoire du Canon des Saintes Écritures.