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l’homme et la terre. — potamie

lianes se tressant en corbeilles. En ces régions on apprit à remplacer les vases naturels par des peaux de bêtes égorgées, à les employer pour tous les besoins domestiques, à les utiliser aussi pour la traversée des fleuves. La dépouille d’un mouton bien gonflée d’air suffit à porter un homme ; même aux endroits où le Tigre a plus d’un kilomètre de large et où le courant se meut avec une grande violence, le riverain n’hésite point à se hasarder seul sur une outre pour passer le fleuve, tenant son embarcation par les deux bras et se dirigeant par le mouvement des pieds. Des armées entières traversèrent ainsi les cours d’eau, non seulement dans la Mésopotamie, mais aussi dans les autres contrées qu’habitaient des peuples pasteurs ayant appris spontanément ou par des étrangers à se servir des mêmes moyens : Alexandre et les Macédoniens, ayant déjà vu traverser le Tigre par les habitants de Mésopotamie, passèrent l’Oxus selon le même procédé, comme l’avaient fait avant eux et comme le firent après eux de nombreux conquérants.

Ce mode de navigation est encore d’usage en tout pays civilisé et principalement dans les ports de la Hollande où l’on emploie des « allèges », c’est-à-dire des caisses à air que l’on amarre au flanc des navires chargés et qui les soulèvent au-dessus de leur ligne normale de flottaison. Les trains de bois qui descendent vers Paris des hautes rivières du Morvan sont soutenus par des flots de même nature ; le bois de chêne récemment abattu ayant un poids spécifique supérieur à celui de l’eau, il faut maintenir le radeau à la surface du courant en attachant sur le pourtour un certain nombre de barriques vides, maintenues strictement étanches[1].

Arrivés dans les cités de l’aval, où leurs cargaisons se vendaient à profit, les bateliers de la Mésopotamie se débarrassaient également de toutes les parties de leurs esquifs. Les outres pouvaient être employées soit comme récipients de liquides, soit comme soutiens des nageurs à la traversée du fleuve ; quant au bois, il était fort précieux dans ces contrées dont les habitants avaient transformé tout le sol en terres labourables, ne laissant que des palmiers aux alentours de leurs villes et de leurs villages ; aussi ne manquait-on pas de l’utiliser, soit pour divers usages domestiques, soit aussi pour la construction de véritables bateaux destinés à naviguer sur les eaux du golfe Persique.

  1. Ollivier de Beauregard, En Asie, Kachmir et Tibet, p. 7.