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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

volontiers confiance en soi-même : il peut bien s’entendre avec le « premier des pairs », avec le combattant reconnu de tous comme le plus vaillant ou le plus rusé, et cela même constitue pour celui-ci une certaine autorité effective en temps de péril public, mais que l’opinion ne sanctionnerait pas en temps ordinaire et qui est par conséquent presque nulle. Le danger du commandement ne prend un caractère de gravité redoutable que lorsque des tribus de montagnards dévalent en masse de leurs hauteurs pour faire la conquête des plaines basses et y fonder des empires, où ils changent, rapidement de mœurs et finissent par se perdre dans les nations ambiantes plus civilisées.

Les vallées de l’Himalaya et de l’Hindu-kuch, celles du Szelchuen, du Caucase, des Apennins, des Pyrénées, des Alpes occidentales offrent de très nombreux exemples de ces petites démocraties locales qui subsistèrent pendant des milliers d’années et dont plusieurs se sont maintenues sous des formes modernes. Dans la presqu’île de Malacca et les grandes îles indo-malaises, dans les îles chinoise de Haïnan et japonaise de Formose, les régions de l’intérieur, étoilant leurs vallées sur le pourtour d’un massif en forme d’épine dorsale, sont également, ou du moins étaient naguère, habitées de populations républicaines dont les institutions se déterminaient par la division des hautes terres en domaines distincts.

Toutefois l’architecture du massif ou de tout autre système de montagnes peut être de nature à faciliter la constitution d’un empire. Ainsi les bassins lacustres où se trouvent les villes de Tezcuco et de Mexico et qu’appuie tout un cercle de plateaux devaient par leur position même donner une grande prépondérance aux populations qui les habitaient, et celles-ci en profitèrent pour asservir les habitants des vallées divergentes, beaucoup plus faibles et sans cohésion naturelle. De même, les familles gouvernantes des Inca, auxquelles s’étaient soumises les nations des Aymara et des Quichua, vivant sur les hauteurs andines, entre les deux cordillères se trouvaient nanties, grâce à la forme du relief continental, d’une puissance d’attaque véritablement formidable, dont elles ne manquèrent pas d’user contre toutes les peuplades voisines habitant sur les pentes extérieures des monts, d’un côté le versant du Pacifique, de l’autre les forêts de l’Amazonie. En Europe même, un pays de montagnes et de larges vallées inter-