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débuts de la propriété

que des tribus bien distinctes les unes des autres détenaient un certain territoire comme appartenant à l’ensemble des individus impliquait déjà le principe de la future propriété privée dans le sens moderne du mot.

En effet, tout changement produit dans l’intérieur de chaque communauté ou tout conflit extérieur pouvaient modifier l’équilibre au profit d’un membre particulier du petit corps social, clan ou tribu. Telle distinction spéciale accordée à un grand chasseur, à un guerrier heureux, à un habile prophète ou médecin lui permettait ordinairement d’accaparer une part plus grande des animaux, du sol ou des produits pour lui et sa maisonnée de clients ou d’esclaves. Ou bien, l’accroissement de la population dans un district ayant rétréci l’espace que s’était réservé le clan, la lutte pour l’existence qui en résulta amena des combats, et, par suite, tel ou tel individu qui s’était distingué, en capturant, par exemple, tous les habitants d’une hutte, put se croire autorisé par cela même à employer ses nouveaux esclaves, soit à la garde du troupeau qu’ils faisaient paître dans la savane environnante, soit à la culture du champ qu’ils avaient défriché. Sa bravoure ayant, paru à la communauté digne d’une récompense spéciale, on lui avait laissé le butin conquis.

Un des mots sanscrits les plus communément employés dans les Veda pour rendre le sens de « bataille » est gavishti, soit littéralement la « lutte pour les vaches »[1].

Dès les périodes préhistoriques, la propriété, due soit à la capture, soit à toute autre cause, se manifestait par des indices de possession, tels que des marques tracées sur le poil ou la chair de l’animal. Les chevaux devaient déjà suivre l’homme à l’époque magdalénienne, à en juger par le licol que l’on voit représenté sur une gravure de cheval, par la couverture rayée que l’on distingue sur un autre dessin. C’est la grotte de Combarelles, près des Eyzies, qui a fourni ce précieux témoignage[2]. Une figuration de mammouth semble porter aussi des traces de caparaçon, et dans ce cas l’énorme bête aurait précédé l’éléphant comme animal domestique.

La guerre sous ses mille formes, telle fut l’une des grandes causes, la plus importante de toutes celles qui amenèrent la constitution de

  1. Max Müller, Essais sur la Mythologie comparée, trad. Perrot, pp. 36, 37.
  2. Capitan et Breuil, Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 9 déc. 1901, p. 1038.