Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
210
l’homme et la terre. — peuplés attardés

poteau de la cabane l’effigie de l’aïeul ou de l’animal tutélaires. Ainsi, l’art était issu des conditions mêmes de la vie et n’avait point des « surhommes » pour créateurs, comme se l’imaginent volontiers des artistes contemporains, un peu trop gonflés eux-mêmes de leur propre valeur et désireux de rester à l’écart d’une foule méprisée. Les initiateurs furent des initiés de la nature, non des mortels d’origine distincte, appartenant à un monde « supraterrestre »[1].

Tout changement de faune ou de climat avait pour conséquence un changement dans l’industrie : ainsi, la civilisation éburnéenne fut vraiment artistique, les défenses de mammouth fournissaient au sculpteur une matière incomparable (Piette).

Dans les moments de loisir que lui donnaient la recherche du gibier et la satisfaction de la faim, l’homme dut chercher aussi d’autres manifestations de l’art que la sculpture ou la gravure de la corne, de l’os, du bois ou de la pierre : des couleurs, l’ocre rouge ou jaune, le jus épais de certains fruits se trouvaient à sa disposition et il sut en profiter également pour peindre sur les parois unies des rocs les objets qu’il voyait ou les formes qui plaisaient à ses yeux.

Il n’est guère de peuples primitifs qui n’aient eu recours à la peinture pour satisfaire leur penchant de l’art ou bien — utilitairement — pour faire savoir à des alliés ou à des frères les faits qu’il était nécessaire de connaître pour l’avantage commun. Toutefois, la plupart de ces peintures, exposées aux influences destructives des météores, à la pluie, au vent, au soleil, au gel et au dégel du roc, n’ont pu se maintenir pendant la durée des âges, et presque toutes se sont effacées ou écaillées, tandis que les objets sculptés ou gravés se conservaient comme en un écrin sous les amas de terre ou de pierrailles. Il est des contrées où le manque de rochers offrant des pages nettes au pinceau de l’homme et l’extrême humidité empêchèrent les naturels de pratiquer l’art de la peinture, et, dans ce cas, ils perpétuaient leurs pensées ou transmettaient leurs messages aux passants par l’entaille de marques sur les arbres ou par l’entremêlement des branches, mais, de toutes manières, l’art et le besoin de parler à distance se donnaient satisfaction.

Dans la période rapprochée de nous, des tribus, que d’ordinaire

  1. Patrick Geddes, Every Man his own Critic, p. 40.