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l’homme et la terre. — peuples attardés

qui devait durer des mois, des bords du golfe de Californie à l’isthme de Tehuantepec, pour faire une simple commission, satisfaire une lubie : le temps ne leur coûtait rien.

L’exemple des Romanichel ou Bohémiens, connus dans toute l’Europe sous des noms différents, nous montre l’évolution extraordinaire qui s’est accomplie dans la destinée des tribus de voyageurs depuis que les peuples n’ont plus besoin de ces intermédiaires de trafic et de science, car c’étaient ces nomades qui savaient soigner le bétail et même les hommes ; nous avons aussi mentionné les Apolobamba de la Bolivie, qui parcourent toute la partie méridionale du continent américain et que l’on accueille partout. Les routes sont la mort de ces hommes errants qu’on attendait naguère avec impatience aux temps accoutumés.

Sans avoir à discuter ici l’époque à laquelle les Tziganes (Zigeuner, gypsies, gitanos) pénétrèrent en Europe, on peut étudier indirectement les mœurs de ces groupes de familles voyageuses chez leurs congénères de l’Inde, tels que les Bandjari et les Povindah. Les services éminents qu’ils rendaient naguère à la société résidente en faisaient des amis de tous ; on accourait au-devant d’eux, on les interrogeait après avoir échangé avec eux des bénédictions et des saluts, puis, tandis que les parents traitaient avec leurs visiteurs les affaires de commerce, les enfants s’amusaient des verroteries qu’on leur avait distribuées et les jeunes filles, tendant la main aux femmes, leur demandaient la bonne aventure. Dans les pays civilisés d’Europe, au contraire, les Bohémiens, que leur genre de vie nomade a complètement différenciés des nations sédentaires dont ils parcourent le territoire, ont fini par être considérés comme n’appartenant plus à l’humanité : ainsi que des pestiférés, on les parque en dehors des villages ; on invente pour eux des règlements de police soupçonneux et brutaux ; en leur interdisant le commerce légitime, on les pousse presque forcément au vol et à la maraude, et même, en certains endroits, afin d’en débarrasser la terre, on les déporte en masse. C’est, à la honte de notre société moderne, impuissante à faire le bien, la mesure que l’on a prise, vers le milieu du siècle, dans le pays Basque et en Béarn.

Encore de nos jours, les chemins suivis autrefois par les francs voyageurs sont indiqués, non seulement par le relief du sol auquel on