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espacement des villages

de transhumance, entre les pâturages ras de la montagne et les prairies abondantes de la plaine, fixe les lieux de séjour temporaires ou permanents pour une partie de la population locale.

Celui qui sait lire a sous les yeux tout un cours d’histoire générale, aussi bien que mille histoires locales et particulières, en voyant une carte bien faite qui lui indique les positions respectives de chaque centre d’activité humaine : il saisit les rapports qui s’établissent de cause à effet et d’effet à cause entre les lieux de la montagne et ceux de la plaine, entre rive et île, estuaire et promontoire, oasis et vallée fluviale. Nulle étude n’est plus instructive que celle des points dont l’homme a tacheté la surface de la terre habitable ; mais encore faut-il que la figuration de la surface planétaire soit parfaitement ressemblante, et qu’elle renseigne sur tout ce qui est de nature à influencer l’habitant dans le choix de son gîte : sinon, elle conduit à des explications fantaisistes que dément la réalité.

Dès que deux ou plusieurs groupes d’individus furent en relations mutuelles, le réseau des voies de communication commença, très fruste sans doute, très modeste à son origine, mais suffisant pour modifier quelque peu l’aspect de la nature, et surtout pour lui donner un charme tout particulier, une intimité très douce aux yeux de celui qui vit en elle, en connaît tous les mystères. Le sentier, nécessairement sinueux, à cause de l’inégalité des pentes, des obstacles, petits ou grands, parsemés dans l’espace à parcourir, serpente par courbes inégales, très allongées dans la plaine, courtes et brusques sur les déclivités, et le marcheur se plaît à le suivre, jouissant inconsciemment du rythme parfait des méandres qui se succèdent, s’harmonisant, par une géométrie naturelle, avec toutes les ondulations du sol. Par un accord tacite, s’accommodant à la loi du moindre effort, les pieds de chacun des passants contribuent à frayer la même voie ; quand les conditions se maintiennent sans grand changement, le chemin garde immuablement son tracé de siècle en siècle, tandis que se succèdent les générations des peuples, conquérants et conquis. En certains endroits, les pluies, formant des mares temporaires, obligent le passant à tracer des sentes latérales qui se ramifient à l’infini en courbes élégantes. Ailleurs, sur des collines terreuses ou composées de roches friables, le chemin se creuse profondément comme un ravin entre des