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l’homme et la terre. — peuples attardés

riaux que lui offrait la nature environnante. Dès qu’il eut découvert des moyens de se tailler des instruments en pierre et de se tresser de puissants cordages, il pouvait à son gré scier les branches des arbres, déraciner les troncs ou même les trancher à la base, placer les fûts les uns sur les autres, les surmonter de toitures, les pourvoir de portes, de fenêtres, de partitions intérieures. Ainsi s’élevèrent des isbas sarmates, en tout semblables à celles que de nos jours habite comme héritier le moujik de la Russie.

Ailleurs, dans les montagnes du Kachmir, du Népal, du Sikkim, du Tirol, de la Suisse, où se rencontrent des conditions analogues et où les pasteurs ont également à leur disposition des pierres de toutes formes pour les fondations et les assises, des arbres pour la charpente et l’ameublement, se sont élevés des chalets de semblable architecture, dont les matériaux divers se marient pittoresquement. Lorsque des peuplades eurent appris à vivre de la chair des animaux domestiques, elles eurent aussi à leur disposition les peaux des bêtes sacrifiées et s’en servirent pour tendre des abris au-dessus de leurs têtes dans les plaines rases. Puis les tribus, ayant découvert l’art de tisser les étoffes, trouvèrent par cela même le moyen de dresser des tentes. Ailleurs encore, les hommes, devenus habiles dans la science de durcir la terre par le soleil ou par le feu, connaissaient le moyen de préparer des briques et de les ériger en murailles, de les établir en assises, de les dresser en pyramides.

Enfin, de ces diverses formes d’habitation, primitives ou secondaires, naquirent des modes intermédiaires de construction ayant tous quelque trait distinctif suivant le milieu local et le milieu d’origine, car, en changeant de territoires, les constructeurs se rappellent toujours l’aspect des demeures qu’ils habitaient dans leur première patrie[1]. C’est ainsi que dans la Guyane anglaise, des tribus de l’intérieur, Arecuna, Macusi et autres Caraïbes, se construisirent des cabanes exactement pareilles à celles de leurs frères ou initiateurs, les Uaraun ou Guaraunos du littoral vaseux. Bien que leur pays de savanes à sol parfaitement sec se trouve en d’autres conditions que celui du delta de l’Orénoque, ces Indiens bâtissent aussi des cabanes sur pilotis et les pieux qu’ils emploient appartiennent à la même

  1. Viollet le Duc, Histoire de l’Habitation humaine, p. 358.