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l’homme et la terre. — peuples attardés

nombreux rivages marins sont de dimensions prodigieuses, témoignant d’une civilisation très policée chez les riverains de la mer, car ce ne sont pas des individus isolés, des familles clairsemées qui peuvent avoir élevé ces monceaux de coquilles d’huîtres et autres mollusques, ayant jusqu’à 300 mètres de long sur 30 à 60 mètres de large et 3 mètres de haut. Des pêcheurs se réunissaient donc en grand nombre à cette époque pour leurs repas de coquillages, auxquels ils joignaient des poissons de diverses espèces, ainsi que des cerfs, chevreuils, cochons, bœufs, chiens, chats, castors et loutres, dont on voit les os rongés dans les tas de débris.

Depuis les époques où se sont amassés ces lits de coquillages, nombre d’espèces et de variétés animales ont disparu ou du moins se sont notablement modifiées. D’autre part on a pu constater que maintes formes d’animaux existaient déjà en des régions desquelles les historiens les croyaient absentes. Pour les espèces végétales, on a fait des remarques analogues : ainsi des arbres fruitiers que l’on croyait avoir été importés d’Asie pendant la période romaine croissaient librement dans l’Europe occidentale bien avant les temps historiques. A en juger par les noyaux de fruits trouvés dans le sol des grottes, les troglodytes du Mas d’Azil connaissaient deux variétés de cerises et trois variétés de prunes à l’époque où se formaient les assises des « galets coloriés ». Le noyer existait déjà dans les Gaules à l’époque tertiaire. Enfin, au commencement de la période magdalénienne, l’homme a connu le blé puisqu’il en a sculpté les épis en relief[1]. La vigne croissait également dans l’Europe occidentale, car on la trouve dans les terramare des plaines padanes pendant l’âge du bronze. À cette époque les Italiens buvaient du vrai vin de raisin, dont l’usage se répandit probablement de l’ouest à l’est, et non d’orient en occident comme on le croyait naguère. Aux mêmes âges préhistoriques et même jusqu’aux commencements de l’histoire proprement dite, les hommes des palafittes alpins, à Varese, à Ljubljana (Laibach, Glubiana), buvaient du vin de cornouilles, et sur le versant septentrional des Alpes, de la Savoie à l’Autriche, la boisson fermentée en usage était fabriquée avec des framboises et des mûres de ronce[2]. Tous ces liquides donnaient l’ivresse, car, on le sait, l’homme éprouve souvent le besoin d’échapper

  1. Ed. Piette, Bull. de la Soc. d’Anthropologie de Paris, Séance du 18 avril 1895.
  2. G. de Mortillet. Les Boissons fermentées, Bull Soc d’Anthropologie, 1897, fasc. 5.