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l’homme et la terre. — travail

son de la voix humaine ? Et la première forme de la justice, c’est-à-dire le talion : « Œil pour œil, dent pour dent » ! n’est-elle pas imitation pure ? Tout le code des lois ne fut jadis autre chose que la coutume : on était convenu tacitement de répéter sans cesse, sous la forme antique, ce qui avait été fait depuis un temps immémorial, et à cet égard la loi anglaise, qui cherche avec tant de sollicitude à s’appuyer sur les « précédents », se répète comme une cloche au son toujours le même.

La règle des convenances sociales est de rendre visite pour visite, repas pour repas, présent pour présent, et la morale même est née dans son essence de l’idée du devoir, du paiement, de la restitution d’un service à l’homme, à un groupe collectif, à l’humanité[1].

L’imitation se confond en beaucoup de circonstances avec l’aide mutuelle — ou plus brièvement l’entr’aide — qui fut dans le passé, qui est encore de nos jours et qui sera dans tous les temps le principal agent du progrès de l’homme. Lorsque, dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, Darwin, Wallace et leurs émules eurent si admirablement exposé le système de l’évolution organique par l’adaptation des êtres au milieu, la plupart des disciples n’envisagèrent que le côté de la question développé par Darwin avec le plus de détails et se laissèrent séduire par une hypothèse simpliste, ne voyant dans le drame infini du monde vivant que la « lutte pour l’existence ». Cependant l’illustre auteur d’Origin of Species et de Descent of Man avait aussi parlé de l’ « accord pour l’existence » ; il avait célébré « les communautés qui, grâce à l’union du plus grand nombre de membres étroitement associés, prospèrent le mieux et mènent à bien la plus riche progéniture »[2].

Mais que de prétendus « darwinistes » voulurent ignorer complètement tous les faits d’entr’aide et se prirent à vociférer avec une sorte de rage, comme si la vue du sang les excitait au meurtre : « Le monde animal est une arène de gladiateurs… ; toute créature est dressée pour le combat »[3] ! Et sous le couvert de la science, combien de violents et de cruels se trouvèrent du coup justifiés dans leurs actes d’appropriation égoïste et de conquête brutale ; tout joyeux d’être parmi les forts, que de

  1. G. Tarde, les lois de l’Imitation.
  2. Descent of Man, 2 e édit, p. 163.
  3. Huxley, Struggle for existence, and its bearing upon Man.