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l’homme et la terre. — milieux telluriques

Au dix-huitième siècle, lors des voyages qui nous révélèrent les mœurs des habitants de la mer du Sud, les navires jetaient l’ancre à plusieurs kilomètres du rivage des îles par crainte des récifs, et bientôt ils se trouvaient entourés de toute la population des terres voisines, hommes, femmes et enfants, qui venaient tournoyer avec des cris de joie autour des monstrueux bâtiments.

La navigation dut s’allier de bonne heure à la natation, et tout d’abord par les moyens les plus rudimentaires. Ainsi les « Grands Batanga », gens à peau noire, d’origine bantou, qui vivent sur le littoral africain, entre le Kamerun et le Gabon, se servent d’esquifs qui ne pèsent pas plus de 7 à 8 kilogrammes, et que le batelier prend sous son bras en débarquant ; pour la forme générale, ces embarcations longues, étroites, à peine creusées, peuvent être comparées aux chevaux de bois. Les Batanga s’y tiennent à califourchon, manœuvrant avec leurs jambes pour diriger, équilibrer le bateau, lui faire éviter les vagues et les coups d’embrun qui pourraient le remplir. Les Européens voient avec étonnement ces cavaliers et leurs bizarres montures glisser comme des insectes sur les lames, dominant par de brusques élans ces vagues si redoutées du brisant littoral où les matelots les plus expérimentés ne s’aventurent point sans peur.

En des mers où le déferlis n’est pas moins formidable, sur les côtes de Coromandel, par exemple, les riverains se servent de catamaram ou radeaux, sur lesquels se déroulent librement les vagues, menaçant à chaque assaut d’emporter les rameurs. De même sur les côtes brésiliennes, au large de Bahia et de Pernambuco, on rencontre souvent, très loin de la terre, une jangada, simple bâti muni d’une voile, pauvre assemblage de bois léger, sur lequel tournoie la vague, aspergeant le rameur qui, d’ordinaire, est obligé de s’amarrer à son épave et d’y fixer aussi sa gourde et sa lourde pierre d’ancrage.

C’est montés sur des embarcations de cette nature que des marins de la côte américaine, appartenant au groupe ethnique des Quichua, découvrirent les Galapagos, au moins deux siècles avant l’arrivée des Espagnols, et qu’ils poussèrent probablement jusqu’à l’île de Pâques, où, d’après quelques auteurs, ils auraient laissé comme témoignage de leur visite les sculptures étranges que l’on a transportées depuis sous le