Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93
fleuves et riverains

pas un besoin instinctif de le remiser près du village et de s’en servir utilement à l’occasion, pour se laisser porter par la pression de l’eau, franchir la rivière, ou même en remonter le courant ?

Les joyeuses expériences des enfants et des jeunes hommes leur avaient certainement appris qu’en nageant à demi suspendus aux troncs de bois et en frappant l’eau de leurs pieds, ou bien en employant leurs mains, des branches d’arbres, des objets de toute espèce, ils pouvaient pratiquer d’instinct le travail qui devint plus tard la science de la rame et de l’aviron, et transformer leur esquif en un être d’apparence animée, quoique toujours docile à l’impulsion du maître. De ce tronc creusé par la nature à celui dont les cavités étaient agrandies par l’homme, soit au moyen du feu, soit par un instrument, la transition était facile et dut se faire au bord d’innombrables cours d’eau par d’innombrables peuplades : de là ces barques monoxyles que l’on rencontre dans toutes les contrées de la Terre.

L’homme primitif apprit même, sans le chercher, à les munir de voiles, grâce aux branches épaisses et feuillues que ploie le vent en donnant de la vitesse à l’ensemble de l’appareil. Cette embarcation de sauvage peut être considérée comme parfaite, vu les matériaux dont elle est construite : ainsi le bateau d’écorce du Niger, le tronc de peuplier creusé du Tarim, la pirogue de bouleau employée par les Hurons et les Odjibway du Grand Nord. L’homme blanc n’a pas un esquif qui puisse lutter avec ce bateau primitif pour la légèreté, la facilité d’entretien et de réparation, l’abondance des matériaux employés ; le « voyageur » indien ou métis trouve au bord de toutes les rivières ce qui lui est nécessaire pour se construire un bateau ; grâce à cette pirogue portative, il peut traverser sans arrêt toutes les régions canadiennes, des grands Lacs aux montagnes Rocheuses.

Ce qui étonne donc, ce n’est pas de voir presque toutes les tribus sauvages connaître l’art de la navigation, mais d’en rencontrer quelques-unes qui, vivant au bord des fleuves, ne se risquent point sur leurs eaux. C’est ainsi que les fameux Botocudos ne se hasardaient pas même à nager et ne savaient pas construire de bateaux[1]. Certes, on comprend que dans certaines rivières des bassins de l’Orénoque et de l’Amazone, pleines de ces redoutables petits poissons, les pirangas,

  1. Paul Ehrenrich, Petermann’s Mitteilungen, 1891, Heft V.