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antinomie de la science et de la religion

celle du lendemain. La première avait pour elle toute l’armée de la routine ; autour de la seconde se groupaient les audacieux qui sortent des chemins battus, et c’est ainsi que, de siècle en siècle, par des ségrégations successives, l’humanité s’est toujours séparée en deux classes ; il ne s’agit pas de celles qui se sont formées autour de la conquête matérielle du pain, mais de la différence d’opinions quant à l’interprétation des causes. Il est vrai que, chez la plupart, cette divergence des idées coïncidait avec la rivalité des intérêts ; toutefois des mobiles intellectuels et moraux intervenaient dans la lutte entre les formulaires anciens et les enseignements nouveaux, présentés sous une forme plus libre et avec un mélange plus ou moins considérable de vérités observées.

De nos jours, l’antagonisme a pris un autre aspect et un caractère plus précis qu’il ne fut jamais, car il ne s’agit plus de croyances en contradiction les unes avec les autres et comportant également une sanction divine par delà les âges et les temps : actuellement la religion seule se réclame de Dieu comme révélateur de toute vérité, tandis que la science, ayant coupé le pont qui rattachait l’Homme à l’Inconnu, ne cherche la vérité que dans l’observation de la nature, contrôlée par l’expérience et guidée par elle d’hypothèse en hypothèse. Il n’y a donc plus de conciliation possible entre les deux méthodes du savoir, l’une acquise sans effort, par un simple don du ciel, l’autre obtenue par un travail incessant, par un labeur qui se continue jusqu’à la mort. Il faut que l’une cède à l’autre, et même on peut déjà pressentir à laquelle des deux appartient la victoire. Récemment encore, les traditions du passé, appuyées sur les injonctions de l’Etat et sur les préceptes de l’enseignement officiel, donnaient en toutes choses le premier rang à la religion, exigence d’ailleurs très légitime pour ceux qui voyaient en tout la volonté d’un maître universel, sans cesse intervenant. Mais il en est autrement pour la société civile, qui apprend désormais à se gérer elle-même et qui doit, par conséquent, se déterminer par une adaptation de plus en plus intime aux conditions du milieu. Dans ce cas, ce n’est pas seulement la première place, c’est la place unique à laquelle la science a droit dans le gouvernement des hommes. La religion prise dans son sens ordinaire ne doit plus être considérée que comme un ensemble de survivances à classer dans le musée des antiques.

Tout d’abord, il convient de ne donner aucun sens aux prétendues statistiques relatives aux sectateurs des religions diverses. Des évalua-