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recrutement du juifs

immuables, ils n’auraient pu dépasser les mauvais jours du moyen âge[1].

Unis par la religion, constitués par elle en nation semi-nomade ayant ses lieux de groupement dans tous les centres de civilisation, les Juifs ont été maintenus et, pour ainsi dire, forgés et soudés par les conditions économiques. Le fait seul de prendre le même nom, malgré la différence des origines, de participer aux mêmes cérémonies, d’appliquer dans leurs relations une même méthode et de se montrer solidaires devant les autres nations ne pouvait à la longue qu’aboutir à donner des caractères communs à tous ceux qui se disent frères en Israël : de la diversité primitive surgit forcément une apparence d’unité. En outre, il importe de tenir en considération la naissance et le développement d’un type professionnel qui s’est formé graduellement chez les Juifs par suite des occupations analogues auxquelles ils étaient condamnés par le milieu. Partout où ils se présentaient, leur qualité d’étrangers les rendant naturellement suspects à la population dominante, ils se groupaient spontanément dans les villes où ils trouvaient le plus de facilité pour l’exercice de leurs métiers, et où ils avaient en même temps le plus de chances d’échapper aux grossières manifestations de la haine populaire.

En fait ou en droit légal, le travail de la terre leur était interdit, et, de génération en génération, pendant des siècles et des siècles, ils désapprirent la culture du sol que leurs ancêtres, les Beni-Israël, avaient pratiquée autrefois dans les vallées de la Terre Promise. Pour eux, l’occupation par excellence fut celle que, d’ailleurs, ils avaient apprise de leurs patrons les Phéniciens dans tous les ports de la Méditerranée : ils mobilisaient les fortunes en facilitant les transactions ; ils prêtaient et empruntaient pour le compte de tiers, servaient d’intermédiaires et de banquiers aux chrétiens qui avaient à cacher leur avoir pour le soustraire aux exigences de l’Etat ou à la rapacité des seigneurs et des prêtres. Nombre de Juifs, qui n’avaient pas assez de ressources pour s’occuper de gérer ainsi les affaires d’autrui, recouraient aux métiers de joaillier et de changeur, qu’il eût été presqu’impossible à des résidants chrétiens d’exercer, car, pour le transport de monnaies et des matières précieuses, il était indispensable de correspondre avec des hommes de confiance dans tous les pays étrangers. Seuls les Israélites jouissaient de ce privilège

  1. Chmerkin, Conséquences de l’antisémitisme en Russie.