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concentration et dissémination de l’industrie

Pourtant la petite industrie n’est pas morte, non plus que le petit commerce. Si la grande usine se réserve la production de l’article courant, de vente sûre, elle laisse volontiers à son humble rival l’invention nouvelle, quitte à s’en emparer si la tentative réussit ; d’autre part, elle ne peut se plier aux conditions de hâte et d’imprévu qu’exige l’entretien journalier. Pour une maison de construction d’automobiles, combien sont nés de petits ateliers de réparation en tous points du territoire ! A côté de l’industrie systématique, l’industrie naissante et l’industrie disséminée répondent à des besoins et ne craignent pas la concentration du capital, qui les dédaigne plutôt. Il en est de même pour le commerce : l’existence des bazars où l’on peut tout acheter, beurre, pantalon et voiture, n’empêche point que partout où s’édifie un groupe de maisons, partout où un tentacule urbain s’allonge de quelque cent mètres, s’ouvrent tout de suite la boulangerie, l’épicerie, la fruiterie et la laiterie. Le travail de répartition s’effectue d’une manière enfantine, mais, jusqu’à présent, c’est le petit commerce qui s’en charge.

Certainement, en comparant la situation des pays civilisés en 1850 et en 1900, on voit tout de suite que l’échelle des fortunes s’est de beaucoup allongée par le haut ; l’écart entre les meurt-de-faim et les riches est immensément plus grand qu’autrefois ; les milliardaires ont remplacé les millionnaires, mais la classe intermédiaire ne s’est point atrophiée. Quelle que soit la source principale de ses revenus, professions libérales, fonctionnarisme, rentes de l’Etat, profits du commerce et de l’industrie, propriété foncière, bâtie ou non bâtie, enfin, qu’elle soit détentrice effective des titres de sociétés anonymes, la bourgeoisie — la petite et la haute bourgeoisie — n’a pas disparu. Tout au contraire, elle n’a fait que croître et prospérer depuis le milieu du dix-neuvième siècle. En attendant l’élaboration d’une théorie qui tienne compte de ces faits, il faut affirmer que les phénomènes sont plus complexes qu’on avait pu le croire en 1840, même en 1870. Le socialisme ne représente plus la lutte comme uniquement engagée autour d’avantages matériels car, en nombre de cas particuliers, on peut se demander si les individus ayant intérêt pécuniaire au maintien de la société traditionnelle, richards, rentiers, fonctionnaires et leur clientèle que n’a jamais intéressée question de dignité humaine, on peut se demander si cette bourgeoisie et ses domestiques ne forment pas la majorité. C’est la solution d’autres problèmes ardemment discutés, c’est la poursuite d’un idéal, c’est l’évo-