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l’homme et la terre. — la culture et la propriété

raire ; elle a gardé en maints endroits des traces de ces deux modes de propriété commune, de même que tous les pays de l’Occident. En Chine, comme partout où s’est fortement constitué le pouvoir central, les maîtres ont abusé de leur force pour acquérir, soit en fiefs soit en propriété absolue, des terres beaucoup trop vastes qu’ils ne peuvent cultiver eux-mêmes, et sont assez puissants pour faire travailler par fermiers, métayers, ou même manouvriers. Mais un phénomène économique pareil à celui qui s’est produit en Grande Bretagne, par exemple, où l’agriculture est, pour ainsi dire, moribonde[1], a détourné pour un temps les capitaux libres vers l’industrie et le commerce, représentant un effort plus simple, plus uni que celui des travaux agricoles ; et il en est résulté que les travailleurs de la terre ont ainsi pu garder leurs champs, où ils trouvent de quoi sustenter leur existence, mais qui sont pour les riches de trop faible rendement. Le régime qui prévaut en Chine, comme en certaines parties de la France, est donc celui de la petite propriété, souvent maintenu sous forme familiale. Cependant le mouvement de transformation économique est plus rapide en Occident que dans l’Extrême Orient. L’agriculture chinoise représente actuellement un état analogue à celui de l’agriculture européenne au siècle dernier. Chaque paysan entretient autour de sa maisonnette, dans un petit jardin coupé de canaux, tout ce dont il a besoin pour se nourrir et se vêtir : du riz, du blé, du coton ou de la ramie, quelques mûriers et des vers à soie, des bambous, des porcs dans la cour, et dans la mare, des poissons et des canards ; chaque culture répète la voisine[2].

De même, dans l’ancienne France, chaque paysan libre ou métayer avait sa récolte de blé, d’orge et d’avoine, quelques pieds de vigne pour son vin ou des pommiers pour son cidre, un noyer et d’autres arbres à fruit, un peu de lin et de chanvre pour ses draps de lit et ses chemises, un porc, des canards ou des poules : toutes les petites propriétés étaient organisées de la même manière. Maintenant les pays de l’Europe occidentale se trouvent en état de transition entre l’ancien aménagement des cultures qui fournissait au paysan tout ce qui lui était nécessaire mais ne lui permettait pas de rien vendre et le nouveau système basé sur la production la plus abondante possible des denrées de

  1. Ridder Haggard, Rural England.
  2. Eug. Simon, La Cité chinoise ; Jean Brunhes, L’Homme et la terre cultivée.