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l’homme et la terre. — l’état moderne

notoirement insuffisants, et servent tout juste à l’entretien des échafaudages, mais les émoluments des ingénieurs courent comme si l’on effectuait besogne utile. Que d’années a-t-il fallu à la persévérante association de la Loire navigable pour obtenir l’autorisation d’établir, à ses frais, un chenal dans le lit du fleuve, au moyen d’épis peu coûteux ! L’Etat n’admettait que des travaux nécessitant des millions et qui, probablement, dans vingt ans eussent été encore à l’étude, comme tant d’autres œuvres vitales pour l’utilisation intelligente du sol de la France.

La Loi est édictée par le Parlement émanant du Peuple en qui réside la Souveraineté nationale. Plus le pays est libre, plus est vénérable le Corps législatif qu’il s’est choisi, mais plus est nécessaire le libre examen de toutes choses qu’implique la liberté. Or nulle institution n’est plus sujette à la critique que le parlementarisme.

Il fut un instrument de progrès indéniable pour la nation qui lui donna naissance, et l’on comprend l’admiration de Montesquieu étudiant le fonctionnement du système anglais, si simple et, alors, si logique. Plus tard, avec l’Assemblée nationale de 1789 et la Convention, le Parlement traversa en France sa période héroïque et, somme toute, fait assez bonne figure dans l’histoire de la libération graduelle de l’individu. Depuis, il a conquis presque tous les pays du monde, y compris les républiques nègres de Haïti, Saint-Domingue et Liberia ; seuls, la Russie (1905), la Turquie, la Chine, les colonies d’exploitation européenne et quelques autres États restent sans représentation nationale. L’institution s’est diversifiée dans les différents pays, montrant tel défaut plus particulièrement ici, tandis que tel autre ressort ailleurs, mais partout se révèle une divergence profonde entre l’évolution du peuple et celle de ses Chambres législatives.

Laissant de côté les systèmes censitaires et pluraux, ne considérant que le suffrage universel honnêtement appliqué, négligeant même le fait que, sauf de rares exceptions, la moitié féminine de la population n’est pas « représentée », on ne peut prétendre que la loi votée à la majorité des élus, eux-mêmes choisis à la majorité des votants, exprime l’opinion de la majorité des électeurs : en fait, le contraire est souvent la vérité. Ce vice, purement mathématique, pouvait être négligeable lorsqu’il n’existait que deux partis dans l’Etat, les pertes et les