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l’homme et la terre. — le nouveau monde et l’océanie

qu’avec le consentement de la mère : quand celle-ci voulait le sauver, elle se teignait la mamelle en rouge, couleur du sang que rachetait son amour maternel.

Quelles qu’aient été, dans les divers archipels, les vraies causes de l’infanticide, l’hypothèse de la rareté des vivres n’a point de sens en des archipels comme les îles de la Société, Taïti ou Raïateia, où les tueurs d’enfants sont des parasites se vouant systématiquement à la paresse, s’interdisant tout travail de leurs mains. Si les vivres venaient à manquer, la faute n’en était pas aux générations nouvelles. Les terres au sol généreux, dont le sol volcanique ou coralien se décompose facilement sous la pluie et le soleil, ne sont cultivées d’ordinaire que dans le voisinage immédiat de la mer, c’est-à-dire aux endroits exposés aux redoutables raz de marée. Les indigènes ne peuvent se détacher du spectacle toujours renouvelé de ces flots et, d’ailleurs, ils sont presque tous marins et pêcheurs ; c’est dans l’immense laboratoire vital de l’Océan qu’ils trouvent en surabondance la nourriture complémentaire de celle qui leur est fournie par les jardinets de leurs cases. Il est, du reste, juste de remarquer que si les produits végétaux et les poissons offrent une ressource illimitée, il y a pénurie de chair animale et, pendant des siècles, certaines des populations ne mangèrent d’autre « viande » que celle du « grand porc ».

Dans les îles montueuses, les pentes de l’intérieur, quoique partiellement revêtues de végétation, sont presque partout négligées au point de vue économique et, cependant, une population nombreuse pourrait y trouver sa subsistance. En 1897, lorsqu’une expédition française vint s’emparer effectivement de l’île Raïateia, jusqu’alors possession purement fictive, les assiégeants eurent plus de peine que les assiégés à maintenir la régularité de leurs approvisionnements. Refoulés dans les hautes vallées, loin de la plage, les gens de Teranpoo, qui refusaient obstinément de subir la domination étrangère, durent renoncer absolument à toute nourriture animale et même se dispenser de faire cuire leurs aliments végétaux afin de n’être pas trahis par la fumée. Les fruits et autres produits crus qu’ils trouvaient en abondance dans leur retraite suffisaient amplement à leur nourriture : ignames, patates sauvages, racines de dracœna et de fougères arborescentes ; noix de tiaïri et châtaignes de mape, oranges et mangues sauvages, barbarines ou fruits, énormes, d’une passiflore. Les fugitifs auraient pu