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l’homme et la terre. — le nouveau monde et l’océanie

en former un ensemble homogène, ne s’ensuit-il que, par les Brésiliens, qui s’associent eux-mêmes par le mariage avec tous les autres représentants de la race blanche, la miscégénation des races deviendra un fait d’ordre général ? L’action du Brésil en ce sens est la continuation de celle qui avait déjà commencé en Portugal même, dans la mère-patrie, pendant l’époque de sa prééminence commerciale : alors, le nombre des noirs, libres ou asservis, que l’on débarquait à Lisbonne était fort considérable et, pendant la série des générations successives, les croisements ont si bien fondu les éléments divers que le type lusitano-africain se retrouve dans toutes les familles des provinces méridionales et du centre. Comme héritier direct du Portugal, aussi bien que par les conditions particulières que lui valut la longue importation des noirs, le Brésil est donc le pays qui dans le monde détient spécialement ce privilège de représenter l’unité de la race humaine. C’est là un contraste essentiel avec la république anglo-américaine du Nord, qui veille — d’ailleurs impuissamment — à la conservation des inégalités et même des aversions entre races.

Dans les États hispano-américains de l’Amérique méridionale, la fusion de la race blanche avec l’élément « rouge », c’est-à-dire avec les aborigènes, a été beaucoup plus importante qu’avec l’élément « noir ». Les esclaves n’avaient jamais été nombreux dans les régions montagneuses qui constituent la plus grande partie du territoire hispano-américain : les Indiens, « répartis » entre les propriétaires des plantations et ceux des mines, étaient employés presque seuls à travailler pour les blancs, et l’on sait ce que leur coûta ce labeur poursuivi pendant plus de deux siècles avec une âpreté féroce. Mais, dès l’arrivée des premiers « conquérants », des mariages eurent lieu entre les Espagnols et les filles des Indiens réputés de race noble : l’exemple était donné d’en haut et depuis il n’a cessé d’être imité dans les couches populaires en proportions de plus en plus vastes ; le double mouvement d’hispanification et d’indianisation se continue partout d’une manière irrésistible, à la fois dans la langue qui est le castillan, dans les idées qui, en résumé, sont celles du dix-huitième siècle, et dans le sang qui est celui de tous les habitants mélangés vivant dans l’Amérique méridionale. Dans les États de la zone tempérée, Uruguay, Argentine, Chili, le travail de la fusion des races peut être considéré comme entièrement achevé ; malheureusement, on ne peut dire que cette grande révolution dans l’histoire des