Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
109
miscégénation

sachant s’élever au-dessus des préjugés de la couleur et de la caste, ne craignent pas de fonder une famille dont les enfants mêleront peut-être une ombre brune à l’éclat de leurs joues ; mais dans les grandes cités, où les foules se pressent de plus en plus, les jeunes filles étrangères, Irlandaises Allemandes, Slaves, ne se laissent pas toujours asservir aux répugnances irraisonnées, et plus d’une parmi elles devient volontiers la compagne du noir dont elle admire la bonne mine, la force et la bonté. Enfin, même parmi les Américains natifs, la misère associe souvent les malheureux des deux races. Dans la grande armée des revendications, blancs et noirs marchent côte à côte, l’extrême souffrance partagée « fait disparaître jusqu’aux distinctions de couleurs »[1]. Ce n’est pas en vain que déjà, même dans les États du Sud, des écrivains courageux, tels que Georges W. Cable, ont réclamé pour les noirs tous les « privilèges », c’est-à-dire tous les droits, même celui du mariage avec les blanches[2]. D’ailleurs, ce croisement des races est la condition première à remplir pour que les entreprenants Yankees puissent obtenir de fait dans l’Amérique entière, aux populations si profondément mélangées, la prépondérance morale qu’ils croient leur être dévolue.

En attendant, ils disposent d’une supériorité matérielle absolument incontestable. Tout d’abord, à l’intérieur, par la prédominance du nombre qui, chaque année, devient plus écrasante, grâce à un double phénomène : d’un côté l’immigration continue, et de l’autre, l’excès des naissances sur les décès, partout ailleurs que dans les familles américaines de la Nouvelle-Angleterre. A vrai dire, les statistiques « vitales » des États-Unis sont très incomplètes, mais les recensements décennaux ne permettent pas de douter de l’accroissement normal des Américains : de 1890 à 1900, la population blanche augmente de 11 800 000 unites tandis qu’il n’y a que 3 700 000 immigrés durant le même temps, soit un tiers seulement de l’augmentation totale. Evidemment ces nouveaux arrivants ne deviennent pas Américains par leur simple débarquement ; la statistique de l’immigration, tenue avec le plus grand soin, relève le fait que les divers pays d’Europe tendent à se reconstituer au delà de l’Atlantique. Année après année, les Croates, Ruthènes, Slovaques et Magyars se dirigent en majorité vers la Pensylvanie, les Tchèques vers l’Illinois, les Roumains vers l’Ohio, le

  1. Old creole days.
  2. Hamlin Garland, A Member of the third House.