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soulèvements royalistes en amérique

des colonies, celles-ci durent d’abord, sans résistance ni appui de la métropole, chercher individuellement un équilibre naturel, conforme à l’idéal composite qui représentait la résultante de leurs intérêts et de leurs vœux. Or, presque partout, les soulèvements, loin d’être suscités par des revendications républicaines, libérales ou même patriotiques, se réclamèrent de la fidélité à l’ancien régime. C’est aux cris de « Vive Ferdinand VII », le souverain légitime de l’Espagne, même à ceux de « Vive la sainte Eglise » que se levèrent les insurgés : ils se croyaient fervents royalistes, quoique l’obéissance ne transige point, mais leurs révoltes, de nature conservatrice pourtant, n’en contenaient pas moins en germe des révolutions futures.

Le premier choc qui causa l’ébranlement général de l’Amérique espagnole fut l’entrée des troupes de Napoléon dans la Péninsule, puis à Madrid : en déposant le roi Bourbon sur le continent d’Europe, l’empereur lui suscitait, par contre coup, de l’autre côté des mers, du rio Bravo del Norte au rio de la Plata, des multitudes de défenseurs, qui, lancés dans le conflit des batailles, se retrouvèrent dix ou vingt ans après en un milieu nouveau, bien différent de celui qu’ils avaient rêvé. De tous les éléments en lutte, fidélité monarchique et ferveur républicaine, dévotion catholique et liberté de la pensée, ressouvenir des vieilles races précolombiennes et désir de constituer une grande nation humaine sans préjugés d’origine et de couleur, aucun, soit asservissement économique, soit libération du travail, ne triompha complètement et, de tous les conflits, des compromis, des concessions mutuelles, sortirent des républiques politiquement indépendantes, d’où l’esclavage des noirs avait disparu, de même que le régime oppressif des repartimientos et de la misa, mais qui, presque toutes, restaient soumises à l’Eglise romaine et au gouvernement militaire. Les anciennes nations aztèque, maya, muysca, quichua, guarani s’étaient reconstituées en groupes ethniques et, en même temps, transformées en peuples modernes, avec de nouveaux alliages de race, une langue, un idéal renouvelés.

L’immensité des territoires compris dans l’Amérique espagnole, des montagnes Rocheuses aux étendues de la pampa, empêchait d’avance tout mouvement d’ensemble dans les insurrections et les guerres qui devaient aboutir à la constitution des républiques hispano-américaines. Les distances étaient trop grandes pour que les communications fussent