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catéchisme napoléonien

La reconstitution de l’Eglise entraînait la réorganisation de l’instruction publique. On n’y manqua point : l’université se modela sur l’armée. Le maître, qui était surtout le général en chef des forces de terre et de mer, avait en vue de former des soldats, et l’éducation départie dans les écoles, les collèges, les lycées devait préparer à celle des casernes. Désormais on ne tint aucun compte des diversités de race ni de milieu pour varier en proportion l’enseignement des élèves : partout on eut à se conformer aux mêmes pratiques et à la même méthode d’enseignement, tout dut se régler à la baguette du tambour. Nulle initiative ne fut permise au professeur : il n’était plus qu’un instrument, qu’un porte-voix, ayant à répéter à l’heure dite, à la minute, les formules édictées en haut lieu. Jamais la pensée ne fut tenue plus en mépris que sous le règne du « petit caporal » ; toute supériorité intellectuelle était odieuse à cet homme qui voulait dominer seul et être le maître des âmes comme il était le maître des corps. Lorsqu’il eut saisi des mains du pape la couronne impériale pour se la poser sur la tête (1804), il prit soin de sa propre apothéose consacrée par le catéchisme scolaire : « Les chrétiens doivent aux princes qui les gouvernent, et en particulier à Napoléon notre empereur, l’amour, le respect, l’obéissance, la fidélité, le service militaire. Honorer et servir notre empereur est honorer et servir Dieu même ».

La guerre en permanence, interrompue de courtes trêves pour la reconstitution des armées, était devenue le fonctionnement normal de l’empire. Sur terre, des triomphes inouïs se succédaient coup sur coup et la France s’entourait d’Etats conquis gravitant autour d’elle ; mais sur mer, tout ce qui lui restait de puissance après Aboukir était brusquement annihilé. Devant le cap Trafalgar, Nelson détruisit la flotte impériale jointe à celle de l’Espagne ; désormais tous les pontons, tous les esquifs qui battaient encore pavillon français n’avaient plus qu’à se blottir au fond des ports ; tout au plus, protégés par les signaux de terre, pouvaient-ils se glisser le long des côtes de refuge en refuge.

Cette impuissance absolue sur mer contribua certainement par contre-coup à lancer sur l’Europe toutes les forces agressives de la France[1]. Austerlitz, léna, Wagram répondirent aux victoires anglaises d’Aboukir et de Trafalgar. De son côté, la Grande Bretagne, seule à commander les mers, put croire dorénavant qu’elle était la maîtresse du

  1. Friedrich Ratzel, Das Meer als Quelle der Vœlkergrœsse, p. 75.