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l’homme et la terre. — la révolution

tion de neutralité permanente qui, après 1815, fit à la Suisse une situation tout à fait à part dans l’ensemble de la politique européenne, les cantons continuèrent à fournir des troupes à différents États, la France, les Pays-Bas, la Prusse. En 1816, on comptait environ 30 000 soldats suisses fournis aux souverains étrangers[1]. Enfin la constitution fédérale de 1848 interdit les enrôlements pour le service militaire étranger, mais sans réussir à les supprimer complètement : c’est en 1869 seulement que cette vente des hommes fut imputée à crime[2].

Des révolutions analogues à celle de la Suisse se produisirent par l’effet de la grande poussée générale dans les États de la péninsule italienne. Là aussi, le dix-huitième siècle avait fait son œuvre préparatoire au changement d’équilibre. L’impulsion qui avait été assez puissante pour forcer le pape Clément XIV à condamner, à chasser les jésuites et qui avait dicté à Beccaria son livre de noble humanité sur Les Délits et les Peines agitait toute la société bourgeoise, surtout dans le nord de l’Italie et en Toscane. La question de la propriété avait été également soulevée, et l’on avait osé porter la main sur les biens du clergé. On dit qu’au milieu du dix-huitième siècle, les deux tiers des campagnes de l’Italie, et peut-être plus encore, se trouvaient possédées par les ordres ecclésiastiques : du tiers restant, la plus forte part consistait en grandes propriétés nobiliaires ; un neuvième à peine du territoire italien était cultivé directement par les possesseurs. La pression de l’opinion publique, éloquemment proclamée par les philosophes contemporains, obligea les gouvernements de l’Italie du nord à séculariser en grande partie les biens de l’Eglise, comme on le fit aussi en Espagne, en Autriche et en Bavière ; mais cette sécularisation ne profita guère qu’aux riches capitalistes de la bourgeoisie et la terre n’en resta pas moins presqu’immobilisée[3].

L’irruption des armées françaises en Italie eut pour résultat majeur non de modifier les conditions économiques, mais de changer les relations de vasselage. L’empereur d’Autriche se trouvait être le véritable suzerain de l’Italie septentrionale, soit directement, soit par l’entremise de princes qui gravitaient autour de lui. Il s’agissait donc pour la France de repousser les Autrichiens de l’autre côté des Alpes : en réa-

  1. E. van Muyden, Essais Historiques, la Suisse sous le pacte de 1815, t. I, pp. 531 et suiv.
  2. Ernest Nys, Notes sur la Neutralité, p. 93.
  3. G. de Greef, Essai sur la Monnaie, le Crédit et les Banques, VIII, p. 5.