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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

qu’on les aide, on peut certainement en faire des « tigres pour de bon »[1]. C’est là un danger imminent en cas de nouveaux conflits.

On répète généralement que les Japonais ont su merveilleusement imiter les Européens dans les formes extérieures de leur civilisation, mais que le fond de la nature japonaise au point de vue moral ne se trouve en rien modifié. Toutefois, ce sont là des affirmations qui ne tiennent pas devant l’examen des faits, car parmi les changements accomplis il en est beaucoup qui témoignent d’une conception très différente des anciennes idées quant à l’idéal de la société. Certaines révolutions analogues par les effets impliquent des évolutions préalables ayant suivi de part et d’autre, en Europe et sous le « Soleil Levant », la même marche dans les esprits. Ainsi la destruction du régime féodal ne peut pas être considérée comme une vaine imitation. Une transformation politique et sociale d’une telle importance, née pour une forte part chez ceux-là mêmes qui devaient le plus en souffrir personnellement, n’aurait pu s’accomplir si elle n’avait correspondu à un mouvement intérieur de la nation. On doit en dire autant de l’abolition du servage, révolution dont les effets directs furent ressentis directement par deux millions d’hommes et qui changea profondément les conditions d’existence pour toute la masse prolétaire.

Un parallélisme historique des plus remarquables a fait de l’émancipation des serfs au Japon le pendant d’événements analogues accomplis en Russie et dans les États-Unis d’Amérique, d’où était partie, en 1853, l’expédition du commodore Perry, forçant au nom du commerce mondial l’ouverture des ports japonais. Le phénomène d’une contemporanéité presque rigoureuse dans la même révolution sociale, la libération des esclaves, en Russie, aux États-Unis, au Japon, tous pays si éloignés les uns des autres, si différents par leur passé et par le génie naturel des habitants, témoigne bien d’une impulsion générale entraînant le monde entier dans une même direction. Toutefois il faut dire que, dans cette évolution sociale, les Japonais l’emportèrent en esprit de justice, puisqu’ils complétèrent la mise en liberté des paysans par la distribution de terres et par une organisation complète de l’instruction publique, devenue applicable à chaque village, à chaque groupe de maisons.

  1. Félix Régamey. Humanité Nouvelle, sept. 1900, p. 290.