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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

de Liao-tung ; les deux cités forment un ensemble maritime complet avec port de commerce, port de guerre, arsenaux et chantiers. Pour aller rejoindre ces villes neuves, construites en plein territoire, sinon chinois, du moins de civilisation confucienne, il a fallu traverser montagnes, plaines et fleuves de la Mandchourie et y bâtir, de distance en distance, non seulement des stations, mais aussi des forteresses et des villes où la population s’est rapidement amassée. Comment les diplomates de toute nation pouvaient-ils feindre de croire à la prochaine évacuation de la Mandchourie par les armées d’occupation russe, alors que celles-ci avaient à garder tout un réseau de voies ferrées et les villes d’étape ? En effet, les Russes s’étaient engagés à évacuer les campagnes mandchoues dépourvues de routes, mais n’est-ce pas afin de se concentrer le long des voies stratégiques ? Autant dire que, dans une mine, ils garderaient seulement les veines de métal.

La révolution que cette voie nouvelle introduit dans la circulation de la vie à la surface de la Terre fera sentir rapidement ses effets. Le chemin transcontinental ne fut guère utilisé tout d’abord que pour le transport des troupes : les intérêts stratégiques primaient toute considération d’utilité nationale ou internationale, et, d’ailleurs, l’état rudimentaire de la voie, aux ponts branlants, à l’outillage insuffisant, ne permettait pas l’organisation de trains pour le commerce et le transport régulier des hommes et des marchandises. Puis on s’est occupé de faciliter les voyages aux gens des classes fortunées et d’agencer des trains de luxe de Calais à Peking ; le changement sera très considérable dans la direction et le mélange des éléments ethniques, puisque les raisons d’économie et de rapidité feront préférer la voie directe par terre au long détour maritime par la circumnavigation de l’Asie. Mais la force des choses entraînera bientôt l’utilisation démocratique de la voie nouvelle, et le va-et-vient des émigrants travailleurs entre l’Europe et l’Asie s’accomplira sans peine, bien autrement important dans ses conséquences que ne le furent autrefois les débordements de Huns ou de Mongols.

Et, cependant, ces premiers résultats d’une incalculable valeur historique, ne seront qu’un faible commencement, car le chemin de fer sibérien ne suit pas le tracé direct que l’attraction mutuelle des nations finira par imposer aux lignes de circulation majeure entre l’Europe et l’Asie. D’abord la Chine elle-même continue son réseau de voies ferrées, ce qui doublera, centuplera sa puissance d’appel sur l’Europe et modi-