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l’homme et la terre. — la révolution

vécut assez longtemps pour donner la main, après 1830, à de nouveaux apôtres de l’Egalité, les représentants des écoles socialistes naissantes.

Ainsi, la grande Révolution fut absolument stérile pour la réalisation du seul idéal qui eût fait la révolution vraie, la suppression de la pauvreté. Le mouvement économique continua son cours qui devait aboutir au groupement des capitaux, à la fondation des grandes usines, au développement du prolétariat. Quant à la prélibation du gouvernement sur le travail des citoyens, elle était restée la même. Ainsi que l’expose spirituellement un écrivain sceptique, la réforme des impôts de l’ancien régime fut une simple mascarade : on leur donna d’autres noms pour faire plaisir au bon public naïf des contribuables. La « taille » et les « vingtièmes » furent qualifiés de « contributions foncières » ; la taxe des « maîtrises et jurandes » et le droit du « marc d’or » furent remplacés par les « patentes » ; on désigna le droit du « contrôle » par le mot de « timbre » ; les « aides » se dénommèrent « contributions indirectes et droits réunis » ; l’affreuse « gabelle », que maudirent tant de malheureux condamnés aux galères et à la mort, n’est plus que le modeste « impôt du sel » ; les « corvées » furent supprimées, mais on les remplaça par les prestations. Il n’y eut qu’un changement : le langage administratif s’enrichit de mots nouveaux[1]. Mais il y avait un autre impôt, celui du sang. Jamais il ne devait être aussi effroyablement acquitté que dans les années qui suivirent l’avènement officiel de la bourgeoisie parlementaire.

Du moins, une chose restera l’œuvre de la Convention, interprète de la classe qui établissait alors sa domination politique. La bourgeoisie comprenait que le savoir lui était indispensable pour assurer sa puissance et sut profiter pour la génération naissante de tous les progrès qui s’étaient accomplis dans l’ensemble des sciences. Elle fonda de grandes écoles, tables toujours abondamment servies dont les miettes tombèrent heureusement sur le peuple assemblé autour du festin. Sans doute, ces fondations devaient aboutir à la constitution d’un nouveau monopole, celui des diplômes, de la dictature intellectuelle, mais les initiateurs du nouvel ordre de choses ne virent d’abord dans leur œuvre que le côté généreux de l’entreprise ; l’extension des études et les recherches prirent un essor merveilleux.

  1. G. de Molinari, Grandeur et décadence de la Guerre, p. 221.