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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

mœurs violentes de la soldatesque de redoutables caractères ataviques, car ils descendent de pillards mercenaires appelés dans la contrée pour en contenir les habitants : ils sont conquérants par hérédité ; de tout temps, même lorsqu’ils n’étaient pas encadrés en régiments et en bataillons et ne recevaient pas les ordres directs de leurs chefs, ils s’imaginaient volontiers avoir le droit de verser le sang. A cet égard leur mentalité nous paraît plus qu’étrange : ils se font fastueusement cadeau des meurtres qu’ils ont commis, tant cet acte leur paraît noble et digne d’envie. « Je te donne ce cadavre comme si tu l’avais tué » ; et l’ami accepte orgueilleusement le don sinistre qui fait de lui le meurtrier. Ce sont aussi les Turcs qui, dans les derniers siècles, ont imposé des souverains à la Perse. La famille actuellement régnante appartient à la tribu des Khadjar, dont le domaine originaire se trouve à l’angle sud-oriental de la Caspienne, constituant le territoire stratégique d’Asterabad. Avant les Khadjar, une autre peuplade turkmène avait conquis la prééminence guerrière et domina tout le monde iranien dans la personne de Nadir-chah, le « Fils de l’Epée ». Cette tribu est celle des Afchar, qui vit dans les hautes vallées de l’Atrek et du Gurgen, disputant à des Kurdes, transplantés loin des monts arméniens, la possession de ces parages.

Eh bien ! chez ces soudards même, la puissance d’attraction exercée par la civilisation iranienne est si forte que tous l’acceptent sans protestation et cherchent à s’en réclamer. Nombre de tribus qui sont très sûrement de provenance turkmène ou sémitique parlent le persan aussi bien que les Farsi de Chiras. Dans les districts presque exclusivement turcs, comme certaines parties de l’Azerbeidjan, la population est en maints endroits devenue bilingue, la langue turque se dégradant peu à peu à l’état de patois, tandis que le persan prend le caractère de langage noble ; la famille régnante, de même que celles des principaux dignitaires, issus également des Khadjar et des Afchar, gens réputés impurs, cherchent à se prouver qu’ils sont bien de la grande race iranienne, et les vers qu’ils apprennent, ceux que l’on récite ou chante devant eux dans les banquets célèbrent les merveilleux combats de Rustem et de Feridun contre les impurs démons des nuits, c’est-à-dire contre les ancêtres mêmes de ceux qui prétendent les célébrer. Pareil phénomène, on le sait, se produit dans toutes les contrées où des conquérants barbares se trouvent en contact avec des vaincus de beaucoup leurs supérieurs en culture. Ainsi les Mandchoux s’efforcent de devenir Chi-