Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome V, Librairie universelle, 1905.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
488
l’homme et la terre. — russes et asiatiques

visme, Bokhara était devenue par excellence la cité de l’hypocrisie et du vice. Qu’on lise à ce sujet les effrayantes descriptions qu’en donnait Vambéry[1] au milieu du dix-neuvième siècle, époque à laquelle certaines parties de la Turkménie, notamment le Bokhara, étaient plus inaccessibles que la Chine, le Japon ou le Tibet. La caste fanatique des mollah exerçait alors son inquisition avec une terrible rigueur, et, sous leur domination, il y avait eu certainement une régression très grande dans toute la contrée par comparaison avec les temps helléniques et les premiers siècles de la propagande musulmane. Cette région du Touran est l’un des pays qui portent le plus visiblement le caractère de la déchéance, et, à cet égard, il convient de le citer en exemple comme la Babylonie, le royaume de Palmyre et les provinces de l’Asie Mineure.

Maintenant un nouvel ordre de choses a commencé au point de vue politique pour les vallées du Sîr et de l’Amu, grâce aux colons venus en grand nombre d’Europe, aux industries apportées dans la contrée, aux moyens de communication qui rattachent les villes entre elles et à la Russie. L’empire moscovite s’est annexé tout le Turkestan, à l’exception d’une partie de la Bactriane, située au sud de l’Amu et laissée provisoirement au royaume-tampon que l’émir de Kabul est chargé de maintenir intact entre les deux puissances qu’il pressent être fort suspectes l’une à l’autre.

L’esclavage a été supprimé par l’effet des changements économiques à la suite d’un grand massacre de captifs, et les pirates ne visitent plus en bandes le plateau de l’Iran, jusqu’au delà de Meched, pour y capturer de paisibles laboureurs. La population s’accroît de nouveau dans ces contrées qu’une sorte de consentement général regarde, à tort ou à raison, comme le berceau du monde et que les dominateurs successifs avaient presque dépeuplées. La paix entre les tribus et les races permet de rétablir les canaux d’irrigation, de restaurer les cultures le long des fleuves et de reconstruire les anciennes capitales. Les grandes étendues désertes qui limitaient jadis le domaine de la culture en dehors des vallées supérieures des fleuves et qui privaient ces contrées de tout apport commercial, de tout aliment intellectuel, ne sont plus des obstacles, puisque des routes, des lignes de fortins et d’auberges assurent en toute saison la continuité des rapports. Un chemin de fer, partant du port de

  1. Voyage d’un faux derviche.