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travail d’unification de la russie

ressources de l’ensemble. Evidemment le pouvoir n’a qu’à céder en tâchant de profiter au mieux de tout ce travail de l’industrie moderne, qu’il retarde d’ailleurs par ses prélibations, le placement de ses parasites et sa réglementation à outrance. En outre, il cherche à détourner le réseau des voies ferrées et des routes de sa destination naturelle, qui est de faciliter les communications ; dès le début, il a choisi un écartement de rails plus grand que la voie normale, de manière que voyageurs et marchandises sont obligés de subir un transbordement : il veut employer les chemins de fer surtout comme un immense appareil stratégique, un moyen de défense et d’attaque contre les voisins, rattachant forteresse à forteresse ; mais quoi qu’il fasse et quelques ennuis qu’il inflige aux voyageurs et aux expéditeurs, les chemins de fer fonctionnent néanmoins normalement en aidant à la circulation des marchandises et des idées, et quand même à la révolution.

Le travail d’unification à l’intérieur se complète par un accroissement de souplesse dans les rapports avec l’extérieur. On sait que, malgré l’immensité de son territoire, malgré la longueur actuellement incalculable de son littoral maritime, la Russie n’a, pour ainsi dire, pas d’issue complète vers la mer : le golfe de Finlande et la Baltique se trouvent sinon fermés, du moins à demi clos à leur sortie par les îles danoises ; la mer Noire est commandée par les deux détroits ou fleuves du Bosphore et de l’Hellespont ; la mer Blanche reste bloquée pendant six longs mois d’hiver ; Nikolaïev et Vladivostok, sur les côtes lointaines de la Mandchourie, ont aussi leur période annuelle de glaces et de brouillards. Et cependant, on le sait, la Russie novgorodienne avait déjà sa libre sortie par la côte mourmane avant qu’Ivan le Terrible fit trembler ses courtisans de Moscou, avant que Pierre le Grand ouvrît sur l’Europe la fenêtre que lui donnait le port de la Néva, avant que Nicolas Ier imposât son nom à la ville maîtresse de la boucle amourienne et que des flottes déployassent le drapeau russe sur l’océan Pacifique. L’oppression brutale des tsars avait fermé la porte de sortie sur l’Atlantique boréal, même lorsque la contrée retomba en leur pouvoir : Kola était devenu un lieu d’exil depuis le milieu du quinzième siècle ; des monopoles de pêche avaient été constitués au profit des tsars et de leurs courtisans ; les couvents de la mer Blanche, devenus possesseurs de domaines immenses, avaient arrêté le développement de toute industrie. C’est à la fin du dix-huitième siècle seulement, sous