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l’homme et la terre. — latins et germains

tiraient point à échanger leur sort contre celui des électeurs d’Athènes ou de Patras : sans doute ils sont censés faire partie de l’assemblage des sujets du Grand Seigneur ; même ils ont parfois à subir des avanies de la part de fonctionnaires hargneux ou de diplomates désobligeants, mais ces ennuis sont le prix d’achat dont ils paient leur autonomie réelle dans la libre administration de leurs écoles et autres établissements, ainsi que dans la gérance de leurs intérêts communs : ensemble, ils constituent bien la cellule d’attente d’un corps politique et social beaucoup plus ample et de signification plus haute que le petit État enfermé dans les frontières de l’Epire et de la Thessalie.

Peut-être même ont-ils une conscience exagérée de leur force collective, et, comme tous les patriotes, sont-ils tentés de s’attribuer dans l’avenir une plus large part qu’il ne leur revient. Le fait est qu’ils ont été amèrement surpris lorsqu’ils se sont aperçus que, dans le mouvement de désintégration subi par la Turquie contemporaine, des peuples tenus par eux en médiocre estime et considérés comme des barbares sans droits se sont dressés en face d’eux, réclamant l’égalité dans le partage ou la fédération. Il leur faudra encore du temps pour s’habituer à l’idée que Turcs et Bulgares ne se soumettront pas à leur hégémonie.

La période d’expansion semble finie pour le monde hellénique. Actuellement, la grande tâche est un travail d’élaboration interne qui élève et renouvelle l’ensemble de la nation et lui permet, non certainement d’égaler les aïeux — car la Grèce brillait alors en flamme isolée au milieu des ténèbres —, mais de n’être inférieure à aucune des nations policées dans les diverses manifestations de la vie, non seulement le commerce et l’industrie, mais aussi les arts et la pensée ! Il est encore certaines parties de la Grèce dont les populations ne semblent qu’à demi dégagées de la barbarie superstitieuse du moyen âge turc ou vénitien. L’âpre Etolie, les monts sauvages du Taygète sont encore des contrées de misère et d’ignorance ; maintes îles, qui furent jadis cultivées par des populations prospères, ne sont aujourd’hui que des rochers dont les hâves habitants émigrent vers des lieux plus heureux. Même après des siècles, le monopole tue : c’est ainsi que la plupart des insulaires grecs de l’Egée ne pratiquent ni la pêche, ni la navigation, malgré l’excellence de leurs rades et de leurs petites criques abritées, malgré l’appel des brises alternantes ; le souvenir confus de la gloire passée ne