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l’homme et la terre. — latins et germains

nateurs, acquérir quelques privilèges, obtenir la tolérance pour leurs cultes respectifs, à cela se borne leur ambition collective. Toute initiative a disparu ; ces indigènes n’ont plus que la souplesse, la plasticité, la ruse pour s’accommoder à leur condition de servitude, même pour en tirer quelque intérêt matériel. Depuis les commencements de l’histoire dans ces pays méditerranéens de l’Orient, il y a, à certains égards, un grand recul : la population a certainement diminué et la surface complètement déserte s’est accrue. Les sables vont en maints endroits jusqu’aux bords de l’Euphrate, et les Bédouins nomades parcourent ce qui fut autrefois la campagne féconde des Chaldéens.

Sur une grande partie du territoire de l’antique Syrie, la population s’est concentrée sur les deux versants des monts du littoral, surtout vers les deux métropoles actuelles, d’un côté Beirout, de l’autre Damas. Quoique dépendants du Grand Seigneur, les habitants de la contrée ont, pour une bonne part, conservé les pratiques religieuses des temps de la domination bysantine. Les cultes et les sectes avec leurs rites et leurs traditions héréditaires sont les causes déterminantes de la division des hommes en sociétés et en nations diverses, et cela non seulement parce que les religions orientent spécialement la vie, mais parce qu’elles correspondent à une instruction, à une éducation particulières : elles modifient la volonté, les mœurs, et jusqu’au type du visage et du corps.

Entre Musulmans, Metuali, Druses, Maronites, Grecs unis, Grecs orthodoxes, Syriaques et Arméniens, qui proviennent pour la plupart du même fond ethnique et des mêmes croisements de race, les différences se sont faites profondes et manifestes dans les gestes, les physionomies, les altitudes, dans tout le « rythme visible de la vie », car les « grandes caractéristiques de l’individu proviennent des idées maîtresses »[1]. Les sociétés sont des « organismes que des idées rectrices modifient suivant un type particulier ». Le faciès change en même temps que les idées ; sur le fond national se pose une nouvelle empreinte, celle du caractère professionnel, auquel se surajoute le type moral, celui de l’idée.

Parmi les divers Syriens, le chrétien n’a point la supériorité morale. Ecarté des fonctions nobles et respectées, méprisé, honni, tenu pour inférieur par sa naissance même, obligé de s’ingénier pour se défendre, de vivre d’artifices et de ruses, réduit aux résignations patientes, aux

  1. André Chevrillon, En Syrie, Société normande de Géographie, janvier-février 1898, p. 33.