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l’homme et la terre. — répartition des hommes

la population vers la campagne. Sans doute, dans une société consciente, voulant résolument la renaissance de l’humanité par la vie des champs, cette révolution telle qu’il n’en fut jamais serait strictement possible, puisque, en évaluant à cent millions de kilomètres carrés seulement la superficie des terres de séjour agréable et salubre, deux maisons par kilomètre carré, contenant chacune sept à huit habitants, suffiraient à loger l’humanité ; mais la nature humaine, dont la loi première est la sociabilité, ne s’accommoderait point de cet éparpillement. Certes il lui faut le bruissement des arbres et le gazouillis des ruisseaux, mais il lui faut aussi l’association avec quelques-uns et avec tous : le globe entier devient pour elle une énorme cité qui peut seule la satisfaire.

Actuellement, rien ne fait présumer que ces prodigieuses agglomérations d’édifices aient atteint leur plus grande étendue imaginable : bien au contraire. Dans les pays de colonisation nouvelle, où le groupement des hommes s’est fait spontanément, de manière à s’accorder avec les intérêts et les goûts modernes, les villes ont une population proportionnelle beaucoup plus considérable que les agglomérations urbaines des contrées vieillies d’Europe, et quelques-uns des grands foyers d’appel ont plus du quart ou du tiers, parfois même de la moitié des habitants du pays. Comparée à l’ensemble de son cercle d’attraction, Melbourne est une plus grande cité que Londres, parce que la population environnante est plus mobile, et qu’il ne faut pas l’arracher, comme en Angleterre, des campagnes où elle s’était enracinée pendant des siècles. Cependant, ce phénomène exceptionnel de pléthore dans les villes australiennes provient en grande partie de la répartition du sol des campagnes en vastes domaines où les immigrants n’ont pas trouvé place ; ils ont été chassés des latifundia vers les capitales[1]. Quoi qu’il en soit, le travail de transplantation devient de plus en plus facile et l’accroissement de Londres pourra se faire sans cesse avec une moindre dépense de forces. Au commencement du vingtième siècle, cette ville n’a guère qu’un septième de la population des iles Britanniques ; il n’est aucunement impossible qu’elle acquière, elle aussi, le tiers ou le quart des habitants du pays, d’autant plus que Londres n’est pas seulement le centre attractif de la Grande Bretagne et de l’Irlande, mais qu’elle est aussi le principal marché de l’Europe et d’une grande partie du monde colonial. Une prochaine

  1. J. Denain-Darrays, Questions diplomatiques et coloniales, 1er févr. 1903.