Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome V, Librairie universelle, 1905.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
356
l’homme et la terre. — répartition des hommes

sur la berge, en face des lieux d’ancrage et de débarquement. On est souvent frappé de l’inégalité bizarre que présentent deux quartiers riverains, paraissant aussi bien situés l’un que l’autre pour la résidence de l’homme : la cause de cette différence s’explique par la direction du mouvement fluvial. Ainsi la pince de Bordeaux suggère aussitôt l’idée que le véritable centre du cercle habité devrait se trouver sur la rive droite du fleuve, à l’endroit où se sont élevées les maisons du petit faubourg de la Bastide ; mais la Garonne, décrivant une courbe puissante, longe de ses eaux vivantes les quais de la rive gauche : c’est donc du côté où se jette le véritable fleuve que doit se porter aussi le courant commercial, l’activité politique. La population suit la marche des eaux et s’éloigne des bancs vaseux de la rive droite. Le monopole a fait le reste en s’emparant du faubourg pour l’enserrer de rails et de barrières en cercles entrecroisés et pour l’enlaidir de hangars et d’entrepôts.

On a souvent prétendu que les villes ont une tendance à grandir incessamment dans le sens de l’Ouest. Ce fait que l’on constate en nombre de cas se comprend très bien dans les contrées de l’Europe occidentale et dans celles qui ont un climat analogue, puisqu’en ces pays le côté de l’occident est celui d’où le vent souffle avec le plus de fréquence. Les habitants qui s’établissent dans les quartiers tournés vers l’air libre ont moins à craindre les maladies que les gens demeurant à l’autre extrémité des villes, sous un vent qui s’est chargé d’impuretés en passant au-dessus des cheminées, des bouches d’égout et des milliers ou millions de personnes humaines. En outre, il ne faut pas oublier que les riches, les oisifs, les artistes, qui peuvent jouir pleinement de la contemplation des cieux, ont plus souvent l’occasion d’admirer les beautés du crépuscule que celles de l’aurore : ils suivent inconsciemment le mouvement du soleil dans sa direction de l’est à l’ouest, et, le soir, se plaisent à le voir descendre dans les nuées resplendissantes. Mais que d’exceptions dans cette croissance normale des villes suivant la marche du soleil ! La forme et le relief du sol, l’attraction des beaux sites, la direction des eaux courantes, les quartiers parasitaires nés des nécessités de l’industrie et du commerce ont fréquemment pour effet de détourner les hommes de richesse et de loisir vers d’autres parties de la ville que celle de l’Occident. Bruxelles et Marseille sont deux exemples de cette divergence du type normal.

Par le fait de son développement même, l’agglomération urbaine,