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l’homme et la terre. — peuplement de la terre

de Kola se trouvent évidemment en voie d’extinction : maladifs pour la plupart, couverts de plaies et d’ulcères, sales et nauséabonds, tristes et se désintéressant d’eux-mêmes, ils diminuent graduellement en nombre, et ne sont plus, au commencement du vingtième siècle, que 16 000 individus, répartis en vingt-cinq villages, sur un espace d’environ 100 000 kilomètres carrés[1]. Les Eskimaux du Groenland polaire étaient encore 300 en 1890; douze ans après ils avaient diminué d’un tiers (Peary). De l’autre côté des terres boréales de l’Amérique, de la pointe Barrow aux îles Aloutiennes, il n’y a plus que 500 indigènes, là où il en vivait cinq fois plus au milieu du dix-neuvième siècle. En appauvrissant les mers boréales, les baleiniers ont supprimé les ressources qui permettaient aux riverains de continuer le combat de la vie.

Le plus souvent la destruction des aborigènes a été voulue : le fusil, le poison, les contagions disséminées sciemment ont fait l’œuvre de mort. C’est ainsi que les colons de la Tasmanie ont tué tous les « noirs » de l’île ; on donnait même des primes aux assassins pour hâter la besogne et des chasseurs traquaient le gibier humain ; la dernière femme de Tasmanie, une vieille de soixante-quinze ans passés, dite plaisamment Lalla Rook, fut tuée, en 1876, comme une guenon, dans le branchage d’un arbre où elle s’était réfugiée. D’autres tribus australiennes furent « nettoyées » de la même manière et, dans le Queensland, on eut l’ingénieuse idée de dresser une police « noire », c’est-à-dire indigène, à l’extermination des rôdeurs de leur propre race rencontrés dans le voisinage des campements. Les Guanches des Canaries avaient été déjà tués ou vendus pour la plupart en dehors de l’Archipel, dès le xvie siècle, et le dernier insulaire de sang pur mourut en 1828. L’Amérique du Nord — surtout la Californie — fut un immense abattoir des aborigènes : des nations entières disparurent, il y après d’un siècle, à l’époque à laquelle fut écrit le livre de Cooper, Le dernier des Mohicans, vrai non seulement pour les Indiens de cette tribu mais encore pour tant d’autres populations chasseresses du Nouveau Monde. Dans l’Amérique méridionale, les Espagnols, les Portugais accomplirent une œuvre de destruction analogue à celle des Anglo-Américains de l’Amérique du Nord, et, dans les Antilles, il ne reste plus de descendants des millions de naturels qu’avaient trouvés les conquérants : à peine 120 Caraïbes de

  1. H. Gœbel, Globus,n° 16, 23 octobre 1902.