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l’homme et la terre. — peuplement de la terre

explorent les gouffres de feu, les laves et les cratères, tandis que d’autres encore sondent l’espace aérien et en étudient les phénomènes jusque par delà les confins de l’air respirable, à trois fois la hauteur des plus hautes montagnes. Puis l’homme a voulu relier la géologie à la géographie par l’histoire, trouver le pourquoi et le comment de chaque trait du sol, reconstituer l’évolution graduelle de chaque modelé et, ainsi que l’étudiant passe de l’anatomie à la physiologie, il faut désormais que le géographe considère le globe terrestre comme un être vivant dont les organes se modifient incessamment.

Et que de recherches annexes, de sciences spéciales se rattachent à ces ordres primaires d’études dans le grand domaine du genre humain ! Ce n’est pas seulement par milliers, c’est par millions, pour être juste envers tous les humbles, que l’on doit compter les collaborateurs de l’œuvre immense : la connaissance et l’aménagement de la planète.

Relativement à la superficie de la terre habitable, le nombre des hommes est encore très minime, puisqu’il ne dépasse guère un milliard et demi. On peut, suivant les métaphores des poètes, comparer les générations humaines aux « sables des grèves » ou aux « flots de l’Océan », mais ce sont là des exagérations singulières : en réalité, si tous les hommes se trouvaient distribués sur les continents à égale distance les uns des autres, chacun d’eux aurait pour domaine particulier l’espace de neuf hectares, soit 90 000 mètres carrés : à peine verrait-il, à 300 mètres de lui dans toutes les directions, ses voisins les plus rapprochés. Si, au contraire, on voulait réunir tous les hommes dans quelque grande plaine entourée d’un bel amphithéâtre de montagnes, en donnant à chaque individu un mètre carré d’espace, c’est-à-dire beaucoup plus que n’en ont les foules pressées dans les fêtes ou les réunions politiques, la superficie des terrains occupés par le genre humain aurait une étendue de 1 600 kilomètres carrés, soit la 90 000e partie de la terre ferme. Ainsi Londres et sa grande banlieue suffiraient pour donner place à tous les habitants actuels de la Terre[1].

Mais les hommes ne se concentrent pas tous en un point, ni ne s’espacent suivant les cases d’un échiquier couvrant la terre. Leur répartition est extrêmement irrégulière, obéissant à des lois aux multiples

  1. Bulletin de la Société Neuchâteloise de géographie, tome V, 1889-90, p. 122.