Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome V, Librairie universelle, 1905.djvu/292

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
287
conférence de la haye

Quoi qu’il en soit, l’apparition de cette nouvelle amphictyonie des peuples se manifeste de plus en plus, malgré les intérêts privés, exclusifs, des divers États qui voudraient maintenir leur isolement jaloux et qui, en dépit d’eux-mêmes, sont obligés de se constituer en un syndicat général. Le théâtre s’élargit, puisqu’il embrasse maintenant l’ensemble des terres et des mers, mais les forces qui étaient en lutte dans chaque État particulier sont également celles qui se combattent par toute la Terre. En chaque pays, le Capital cherche à maîtriser les travailleurs de même sur le grand marché du monde, le Capital, accru démesurément, insoucieux de toutes les anciennes frontières, tente de faire œuvrer à son profit la masse des producteurs et à s’assurer tous les consommateurs du globe, sauvages et barbares aussi bien que civilisés. Déjà l’on a vu des ordres de bourse déterminer l’envoi d’une escadre, quand le ministère français fit occuper Mitylène pour récupérer une créance usuraire, et telle guerre, celle de la Grèce contre la Turquie, en 1897, fut tellement mélangée de spéculations sur les fonds ottomans que l’on put se demander jusqu’à quel point les hostilités étaient sérieuses et servaient à cacher, sous la comédie des batailles et des canonnades, le jeu plus passionnant de la hausse et de la baisse. Evidemment, tout avait été machiné d’avance : on s’arrangea pour donner la victoire aux gros bataillons de la Turquie et pour assurer à la petite Grèce la possession, du moins médiatisée, de l’ile de Crète, qui était l’enjeu de la guerre.

Actuellement, la toute-puissance du Capital et son caractère international sont des phénomènes si bien établis que l’on parle tout simplement, comme d’un fait acquis, de la substitution prochaine des banques aux gouvernements pour la gérance de l’administration ainsi que des entreprises de la paix et de la guerre. D’ailleurs, puisqu’elles gèrent déjà directement — quoique sous un nom supposé — les milliards du budget, ne gèrent-elles pas aussi indirectement toutes les affaires de l’État ? Et, par cela même, les diverses individualités politiques ne prennent-elles pas un caractère de plus en plus international sous la direction du syndicat, qui peut avoir intérêt tantôt à exalter, tantôt à humilier tel ou tel pantin de la comédie politique et qui voit dans les nations autant de chiffres à inscrire, suivant les besoins du moment, à telle ou telle colonne du grand-livre ? Et pourtant, si effroyablement puissants que soient devenus ces groupes de commanditaires qui se dis-