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l’homme et la terre. — internationales

juifs, il n’y a entre les tribus ni animosité de race, ni haine de religion ; le Maroc n’a que faire de tous ces médecins qui l’entourent, lui offrant à l’envi des remèdes et des préservatifs. Si tout d’un coup, les « bachadour », ministres ou « ambassadeurs » étrangers qui résident à Tanger, venaient à disparaître, et si les populations marocaines n’avaient plus à se défier de ces diplomates aux ambitions rivales, l’équilibre intérieur de la nation ne serait en rien changé : les deux cinquièmes du territoire qui porte sur les cartes le nom de « Maroc » continueraient de payer l’impôt et de constituer le pays soumis, se laissant administrer par les fonctionnaires de l’empereur, tandis que les enclaves indépendantes dont les habitants se refusent aux taxes et qui représentent les trois cinquièmes du pays[1] formeraient autant de petites républiques très vivaces se suffisant à elles-mêmes, grâce à leur petit commerce et à la liberté de l’émigration périodique. Ce Bled es Siba, le « Pays libre », ne demande rien à l’Europe, si ce n’est qu’on ne touche pas à ses droits. Mais quelle est la grande puissance qui, succédant à l’empereur du Maroc aura le tact nécessaire pour ne pas froisser ces tribus autonomes ?

Dans le continent d’Asie où se sont assis de puissants empires depuis des âges immémoriaux, les nations d’Europe n’ont pu procéder au partage avec la même désinvolture que dans le continent noir. Mais chaque possession européenne est devenue un point d’appui pour des annexions nouvelles d’étendue considérable. Ainsi la Russie a profité de sa domination sur la Sibérie, qui représente déjà le tiers de la superficie asiatique, pour étendre son influence politique et même administrative sur les territoires voisins, Mandchourie, Mongolie, Dsungarie, Kachgarie, et, de ce côté, la frontière est devenue flottante, en sorte qu’on se demande de combien de centaines de mille kilomètres carrés le territoire russe s’est réellement agrandi. De leur côté, les Anglais, maîtres de l’Inde, se subordonnent de plus en plus les principautés vassales, consolidant par de nouvelles annexions leurs « frontières scientifiques » de l’ouest sur les hautes terres des Raloutches et des Afghans ; au centre, ils s’attaquent au Tibet par delà le formidable Himalaya, tandis qu’à l’est, ils arrondissent leurs domaines de la Barmanie et s’emparent des riches petits États de la péninsule malaise. Enfin, la France,

  1. R. de Segonzac, Société de géogr. d’Alger et de l’Afrique du Nord, 2e trim.1902. p. 183.