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l’homme et la terre. — internationales

souvenir des Portugais que les nègres du Congo donnent aux Européens les noms de M’putu, « gens du Poutou », du Portugal[1]. Les indigènes de la région côtière doivent aussi plus qu’un nom aux missionnaires qui leur vinrent de Lisbonne et d’Oporto : ils leur doivent la croix dont ils ornent leurs maisons sans en connaître d’ailleurs l’origine, ils leur doivent la consécration officielle à un saint patron, la zina dia santu : nègres et négresses fétichistes sont, en vertu de l’aspersion, de vrais baptisés. Ce furent également des prêtres du Christ qui apportèrent aux Africains les statuettes de Jésus et de la Vierge et les images de saints qui se sont graduellement changées en fétiches et que l’on a longtemps crues de provenance autochtone ; ces figurines grossières, hérissées de clous, représentaient le Crucifié, percé de coups de lances, et la Notre-Dame des Sept-Douleurs. Dans l’intérieur du pays, on ne voit point de ces fétiches, ils n’existent que dans les contrées occidentales visitées jadis par les convertisseurs. Des images grotesques, voilà tout ce qui reste des antiques conversions. Les formes religieuses enseignées jadis par les prêtres catholiques se détériorent de la façon la plus bizarre par le fait du retour aux conceptions anciennes, lorsque les missionnaires cessent de visiter la contrée. Ainsi chez les Bamba, riverains du bas Congo, les jeunes hommes de la tribu sont jetés par les sorciers dans un état de syncope semblable à la mort, et cet état se continue pendant trois jours, après lesquels vient la résurrection. Evidemment il s’agit d’imiter ici le « Seigneur Jésus » dans le grand mystère de sa mort et de son retour triomphant à la vie[2].

L’empire colonial portugais, qui s’étendait vers les contrées inconnues de l’intérieur, n’avait point de limites précises. Il était censé comprendre toutes les contrées du continent en dehors de la Maurétanie et du bassin nilotique ; mais les pays occupés n’avaient qu’une faible superficie relative, le petit Portugal ne pouvant fournir qu’un faible nombre de planteurs et d’aventuriers. Les Hollandais lui ravirent la partie méridionale de l’Afrique, c’est-à-dire le district du Cap de Bonne-Espérance, qui passa plus tard en la possession des Anglais avec tout le territoire adjacent ; puis les nouveau-venus, annexant terre après terre, en vinrent pendant le cours du siècle à s’emparer hardiment d’une large zone dans la région du Zambèze, feignant d’ignorer absolument la prétention du

  1. Ch. Lemaire, notes manuscrites.
  2. Keane, Man, Past and Present, p. 109.