Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome V, Librairie universelle, 1905.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238
l’homme et la terre. — internationales

suffirent pour tromper la foule naïve des citoyens. Encore encombrée de tout son appareil monarchique, y compris les colonies à esclaves, l’Espagne ne pouvait donc que se reconstituer en monarchie et la régence de Serrano n’eut guère d’autre mission que d’humiliantes démarches à la recherche d’un roi. On crut en avoir trouvé un dans la personne d’un prince de Hohenzollern, mais ce choix eût pu faire éclater la guerre entre la France et l’Allemagne avant que Bismarck fût complètement prêt à l’attaque, et les courtisans en quête de souverains se tournèrent vers un autre personnage, le prince Amédée de Savoie, qui consentit à goûter au fruit, parfois amer, de la royauté (1870) : il s’en fallut de peu que sa destinée ressemblât à celle d’un autre couronné, l’empereur Maximilien. Pendant plus de deux années, il eut à lutter contre ses ennemis, d’un côté les carlistes, d’un autre côté les républicains, et, plus encore, contre ses prétendus amis, les monarchistes constitutionnels et libéraux ; il eut surtout à conformer sa volonté aux ordres de l’Eglise et à ceux des grands propriétaires de Cuba. Enfin, il ne lui resta plus qu’à s’enfuir (1873), laissant le pouvoir au parti qui se montrerait le plus fort.

C’est au milieu de l’année 1870 que la lutte diplomatique, depuis longtemps engagée entre la France et la Prusse, éclata en déclaration de guerre. Bismarck avait eu le talent d’amener la rupture définitive, même par des mensonges télégraphiques, mais il s’était arrangé de manière à faire prononcer le mot fatal par l’adversaire : devant l’opinion publique, si facile à tromper, les torts devaient peser sur la France. C’était là déjà une première victoire. Mais, dès les premiers jours des hostilités, la Prusse remporta un deuxième succès aux yeux du monde, elle montra qu’elle était absolument prête pour le combat, tandis que la France, confiée à de vieux militaires inintelligents et jaloux les uns des autres, n’avait su que se vanter sottement d’avoir prévu jusqu’au « dernier bouton de guêtre », tandis qu’elle était en réalité prise à l’improviste et ne possédait ni les plans, ni les vivres, ni l’artillerie nécessaires ; elle allait se battre au hasard contre un ennemi qui visait nettement son objectif.

Quant aux chances générales, tirées de l’équilibre des nations, elles étaient également en faveur de l’Allemagne. Si l’empire français possédait un certain prestige, dû à ses guerres heureuses, il se trouvait pourtant très diminué par sa dernière aventure mexicaine et par ses diverses déconvenues diplomatiques avec la Prusse, tandis que celle-ci avait