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l’homme et la terre. — internationales

devait mettre tout en œuvre pour que la route de circumnavigation par le cap de Bonne-Espérance restât la seule fréquentée par les navires, et dès qu’une deuxième voie, plus courte et moins périlleuse, se trouvait ouverte désormais, il lui fallait à tout prix, sinon s’en emparer, du moins y occuper le premier rang. Mais au-dessus de toutes les rivalités nationales venait se placer l’intérêt majeur du genre humain qui rapprochait les peuples et les races, juxtaposait, pour ainsi dire, les rives du Pacifique et celles de l’Atlantique, recréant à nouveau la forme des continents.

De pareils résultats l’emportent singulièrement dans l’histoire essentielle du monde sur les conséquences relativement passagères causées par les conflits de peuple à peuple, même par des guerres d’invasion, si terribles qu’elles soient et si nombreux les désastres causés par ces rencontres. À cette époque, l’initiative dans les affaires européennes n’appartenait plus à la France, qui n’avait plus de politique nationale et que gouvernait un homme malade, usé, hésitant et réticent. Le jeu de la diplomatie était dirigé par la Prusse, qui se trouvait alors guidée et tenue par un homme d’intelligence claire, de volonté puissante et de parfaite supériorité à tout scrupule ou préjugé. Déjà le comte de Bismarck avait absolument déblayé le terrain politique dans l’assemblée du monde germain en établissant d’une manière indiscutable l’hégémonie de la Prusse dans les affaires de l’Allemagne. Tout d’abord (1864), il tranchait au profit de la Prusse la question des frontières du Danemark en s’emparant de toute la partie, incontestablement germanique, de ce royaume située au sud de Flensburg, et même en reportant la limite politique à près d’une centaine de kilomètres au nord, en plein territoire de l’Empire danois : pour se mettre en règle avec le principe des nationalités, on s’était contenté de dire que les Danois pourraient à l’occasion se rattacher de nouveau à la patrie Scandinave par un vote librement émis, mais ce vote ne fut jamais demandé. La Prusse devint ainsi maîtresse de l’annexe stratégique la plus importante de son domaine : le Holstein domine la bouche de l’Elbe et celle de la Trave et possède les campagnes à travers lesquelles passe le grand canal de navigation de Kiel à l’Elbe, déjà considéré lors de l’annexion comme un des travaux les plus urgents à entreprendre pour compléter l’outillage du futur empire[1].

  1. Voir Carte n° 295, page 489, vol. III.