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l’homme et la terre. — internationales

Venise, de Gênes et de Rome, Espagnols de Barcelone, de Valence, Parisiens et Badois, Polonais et Russes, l’alliance devait se faire : la communauté du but, des intérêts, des moyens employés amenait une entente au moins partielle entre les proscrits, malgré l’obstacle qu’opposaient les différences de mœurs et de langage ainsi que les rivalités des ambitions chez ceux qui convoitaient le pouvoir. Une sorte de gouvernement occulte des Etats-Unis d’Europe en formation se constitua ainsi, sans que l’orgueilleuse Angleterre daignât connaître les agissements des hommes tombés qui lui avaient demandé un asile et qui travaillaient à la reconstruction du monde. C’était incontestablement un fait politique de premier ordre que cet essai d’accord international en vue de l’établissement d’un nouvel équilibre européen reposant sur la liberté civique et sur la représentation équitable de tous les intérêts ; mais les engagements réciproques pris par les contractants manquaient de la sanction populaire qui, seule, pouvait leur donner la réalisation future ; et, d’ailleurs, la plupart de ces hommes politiques, ayant eux-mêmes été à l’œuvre dans le gouvernement de leur pays d’origine, n’apportaient point un désintéressement absolu à la poursuite de leur mission.

Combien plus importante que cette entente provisoire entre personnages de diverses nations fut l’autre Internationale, celle qui naquit spontanément parmi des travailleurs et des faméliques appartenant à toutes les nations et se reconnaissant frères par la volonté commune. Les astronomes, les géographes, les voyageurs avaient découvert l’unité matérielle de la planète, et voici que d’humbles ouvriers, anglais, allemands, suisses, français, d’autant plus heureux de s’aimer qu’ils avaient été destinés à se haïr et qu’ils s’exprimaient difficilement dans une langue qui n’était pas la leur, s’étreignaient en un même groupe et s’unissaient pour ne former qu’une seule nation, au mépris de toutes les traditions et des lois de leurs gouvernements respectifs ! Cette unité morale, cette humanité dont les philosophes s’étaient entretenus jadis et que la plupart considéraient comme un rêve impossible eu arrivait enfin à un commencement de réalisation dans les rues boueuses de Londres, sous le lourd brouillard jaunâtre et fuligineux !

Les commencements de l’œuvre furent peu de chose et l’on a peine à en distinguer les origines, qui sont nombreuses, et que l’on retrouve fort loin dans le passé, comme on poursuit dans les fissures du sol les