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l’homme et la terre. — nègres et moujiks

agitait pas moins, et des révoltes locales, signes avant-coureurs d’une transformation générale, témoignaient de l’impatience grandissante des sujets. Le gouvernement central, si désireux qu’il fût de maintenir la routine traditionnelle, ne pouvait ignorer cet état de choses et cherchait à donner une certaine satisfaction aux exigences populaires. Sans doute la nation russe, avec l’égoïsme collectif qui appartient à ces amas d’hommes déterminés par la série séculaire des événements, permettait à ses gouvernants de poursuivre contre l’étranger sa politique de conquête et d’oppression ; même elle voyait avec une certaine satisfaction les annexions lointaines qui ajoutaient à l’Empire les immenses étendues asiatiques ; elle approuvait les campagnes du Caucase qui aboutissaient en 1859 à la capture de Chamil, prophète et guerrier, et, en 1864, pacifiaient par le dépeuplement complet tout ce qui restait de territoires insurgés dans la Caucasie occidentale ; même la masse du peuple russe se trouvait certainement d’accord avec son gouvernement pour approuver l’écrasement d’une nouvelle insurrection polonaise en 1863. Comme tant d’autres populations, celle de la « Sainte Russie » ne demandait justice que pour elle-même et participait volontiers à l’injustice contre les autres.

Les améliorations matérielles sont celles que les gouvernements se laissent arracher le plus volontiers, parce qu’ils sont les premiers à en profiter. Le réseau des chemins de fer commença de se rattacher à la seule ligne de grande communication qui existât alors, celle qui reliait l’une à l’autre les deux capitales Moscou et Pétersbourg. Quelques routes, devancées par les voies de fer en maintes régions de l’empire, se tracèrent çà et là et des ponts furent jetés sur les fleuves. En même temps, on ouvrit des écoles pour les enfants de la bourgeoisie naissante et publia des amnisties pour le passé ; la liberté fut rendue aux quelques dékabristes exilés qui vivaient encore et les membres de leurs familles furent réhabilités.

En même temps, en 1807, on décida de porter la main sur l’arche sainte du servage qui, depuis l’attentat de Boris Godunov contre la liberté russe, avait si profondément rongé le cœur de la nation. Comme toujours en pareille circonstance, cette décision « libérale » du gouvernement avait été dictée par la nécessité. L’empereur Alexandre en exposa la raison aux nobles réunis au Kreml’ : « Donnons la liberté afin qu’elle ne soit prise de vive force ». Les soulèvements partiels et les révoltes individuelles des paysans étaient fréquentes et, d’autre