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l’homme et la terre. — nègres et moujiks

se réorganiser et pénétrer enfin dans la ville de Puebla pour s’ouvrir la route de Mexico. Les Français y entrèrent (10 juin 1863) et y préparèrent l’intronisation officielle de Maximilien qui vint prendre possession de son empire l’année suivante, après s’être fait sacrer par le pape. Mais la guerre n’était point finie. Quoique les régiments français, appuyant l’armée cléricale des généraux conservateurs, fussent presque toujours vainqueurs en rase campagne, et que le gouvernement républicain, présidé par l’Indien Benito Juarez, dût fuir de ville en ville, il n’en organisait pas moins des guérillas qui harcelaient partout les vainqueurs, coupaient les routes, s’emparaient des approvisionnements. On pendait les patriotes par centaines, ils renaissaient par milliers.

Lorsque la ruine complète des esclavagistes eut amené la grande évolution de l’histoire américaine, Napoléon comprit qu’il n’avait plus qu’à préparer sa retraite, à modifier prudemment sa politique en laissant Maximilien se tirer de la périlleuse affaire, s’il était encore possible. Le malheureux crut qu’il réussirait par la terreur et, par un décret d’octobre 1865, prononça la peine de mort dans les vingt-quatre heures contre tout adversaire capturé. C’est le décret qui se retourna contre lui, et qui lui fut appliqué, l’année suivante, dans les fossés de Queretaro. Il avait régné trois années, mais pas un jour de cet empire ne s’écoula sans que les historiens n’aient lu clairement son horoscope de victime expiatoire : la grande pensée lui avait été funeste. Il ne semble pas d’ailleurs que le crime politique dont la France, sacrifiée aux chimères de son maître, s’était rendue coupable sans y participer moralement, ait eu pour conséquence de susciter contre elle des sentiments de haine et de vengeance dans l’âme des Mexicains. Un sûr instinct avait averti ceux-ci que l’envahisseur, ennemi d’occasion et non pas de nature, ne leur en voulait nullement, et ils lui pardonnèrent, préférant se rappeler les enseignements de la Révolution française que les caprices incohérents de la contre-révolution impériale. En outre, ils comprenaient que, dans la bataille des intérêts, aussi âpre entre les nations qu’entre les individus, ils n’avaient rien à craindre mais beaucoup à espérer de la solidarité morale de leurs frères « latins », tandis qu’ils avaient, au contraire, tout à redouter de leurs amis d’un jour, voisins d’outre-Rio Grande.

Quoi qu’il en soit, l’issue de la guerre du Mexique avait puissamment assis la « doctrine de Monroë » comme une vérité politique désormais indiscutable : pendant le demi siècle qui venait de s’accomplir, les