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l’homme et la terre. — nègres et moujiks

avec toutes ses chances de désastre et de mort au régime avilissant des garnisons et partent pour l’Amérique où on est étonné de rencontrer une si forte proportion des leurs. Les républiques espagnoles du Nouveau Monde, du Mexique, du Chili montrent par la multitude de leurs noms euskariens quelle part énorme l’élément basque a prise dans le peuplement de ces immenses contrées. De même les Açoriens, pourtant amoureux de leurs îles natales, les fuient en grand nombre plutôt que de porter l’uniforme. Quoi qu’on puisse en penser, ce ne sont point les lâches qui s’en vont ainsi plutôt que de servir : ce sont les plus énergiques, ceux qui ont le plus d’initiative personnelle, et ils enrichissent d’autant les pays nouveaux qu’ils vont habiter.

Lorsque la tension des deux forces opposées eut rendu la guerre inévitable, les gens du Sud s’imaginaient volontiers qu’ils l’emporteraient facilement sur leurs adversaires. Gentilshommes se prétendant issus de l’aristocratie britannique, ils affectaient un grand mépris pour les boutiquiers et travailleurs qu’ils auraient à combattre et dans lesquels ils voyaient les semblables de leurs propres esclaves, chiourme bonne à réduire comme ces esclaves révoltés que leurs anciens maîtres, au témoignage d’Hérodote, combattirent et dispersèrent non avec les armes, mais avec le fouet. D’ailleurs ils étaient les seuls à posséder les cadres d’une armée. La grande majorité des officiers de terre et de mer s’étaient naturellement rangés du côté des esclavagistes auxquels les relations sociales et les fêtes mondaines les avaient rattachés. Les Sudistes avaient eu quelque expérience militaire au Mexique et dans l’Amérique centrale, et l’habitude du commandement dans les campements de leurs nègres en avait fait autant d’officiers nés ; comparés à eux, les gens du Nord n’étaient au premier contact que des bandes indisciplinées. Toutefois, si confiants qu’ils fussent, sinon dans la justice du moins dans la légalité, dans la tradition juridique de leur cause ainsi que dans leur excellence personnelle, les esclavagistes du Sud ne pouvaient douter de ce fait incontestable, la supériorité matérielle de leurs adversaires du Nord. C’est à ceux-ci très certainement qu’appartenait la force. Ils étaient de beaucoup les plus nombreux et à leurs rangs serrés ils pouvaient ajouter sans fin la foule des immigrants d’Europe qui se présentaient tout aussi dispos à prendre les armes de la guerre que les outils du travail ; en outre, ils avaient les ressources prodigieuses que leur donnait une industrie de